Cathédrales, Abbayes, Châteaux, Ponts…

A Reims, comment se déroule pour le roi, heure par heure, la journée de son sacre. Le roi et sa suite venant de Paris sont arrivés à Reims quelques jours auparavant. Le voyage s’est effectué par petites étapes selon un trajet toujours identique (aujourd’hui 150 km). Entrée royale dans Reims en cortège solennel. Remise des clés et des cadeaux de bienvenue (vins tranquilles, vins mousseux, pains d’épices, fruits, confitures…), puis accueil du roi dans la cathédrale par Le chapitre au grand complet. Mais pour le roi, tout commence vraiment la veille du couronnement par une veillée de prière et une confession vers minuit (dans la cathédrale ou la chapelle haute du palais du Tau, palais épiscopal où il séjourne). Après une oraison, le roi regagne sa chambre pour se reposer. Mais la nuit sera courte.

Nous demandons Louis

Tôt, le matin du sacre, il est 6 h, les évêques de Laon et de Beauvais se présentent devant la porte du roi : nous demandons Louis (ou Charles) que Dieu nous a donné pour roi. La porte s’ouvre, les évêques présents lèvent alors le roi couché sur un lit de parade. Une fois formé, le cortège royal arrive devant la cathédrale. Elle est fermée : Ouvrez les portes. Une voix de l’intérieur répond : qui est ce roi de gloire. Et cela trois fois de suite avant que les lourdes portes de l’édifice ne s’ouvrent. Devant l’autel, l’archevêque de Reims attend le roi. Au son du Veni Creator (viens Esprit de Dieu visiter les âmes de tes fidèles …), il lui désigne son fauteuil. Le serment peut commencer. Il se prononce à haute voix, la main sur les évangiles. Le roi promet de garder les privilèges de l’église, de maintenir la paix et la justice et d’exterminer (chasser) les hérétiques*. Puis il se prosterne alors qu’un Te Deum retentit sous les voûtes de la cathédrale. Nous arrivons alors au cœur de la cérémonie. Elle se déroulera en trois actes.

*Serment qui sera remplacé lors du sacre de Charles X, le dimanche 29 mai 1825, par celui prononcé sur la charte constitutionnelle et sur la légion d’honneur, ordre créé par Napoléon.

Sacre du roi Charles VII à Reims le 17 juillet 1429. C’est sans doute le sacre le plus mémorable de la monarchie. Le dauphin a été conduit à Reims par Jeanne d’Arc après la levée du siège d’Orléans (Miniature ornant le manuscrit de Martial d’Auvergne : Les Vigiles de Charles VII, vers 1484, BnF, Manuscrit Français 5054 (folio 63 verso)

Une cérémonie en trois actes

1/L’adoubement : le roi va en partie se dévêtir Il ne conserver que sa tunique argentée et sa chemise rouge échancrée aux différents endroits où doivent être pratiquées les onctions. Face à l’autel ont été déposés les regalia (attributs royaux) apportées par l’abbé de Saint-Denis: L’anneau, signe de la foi catholique, les chausses fleurdelisées ; le sceptre royal, symbole de commandement; l’épée «Joyeuse» dite épée de Charlemagne*, symbole de l’engagement guerrier et que le roi reçoit genoux fléchis (elle est ensuite confiée au sénéchal qui doit la garder pointe en l’air jusqu’à la fin de la cérémonie) ; les éperons d’or, symbole d’humilité et du devoir chevaleresque ; la main de justice, symbole du droit à rendre la justice.

*Elle possède un pommeau viking et une garde du XIIe siècle.

Cette épée dite de Charlemagne appelée « Joyeuse » se trouve aujourd’hui au Louvres (premier étage de l’aile Richelieu), parmi les objets d’art du Moyen-âge. Elle fait partie des « regalia », un ensemble d’objets qui symbolisaient le pouvoir royal et servaient pour le sacre des rois de France.

2/L’onction :

Après des prières pour la santé du roi et la prospérité du royaume, intervient le rite essentiel de l’onction à partir de la sainte Ampoule. Le roi est à genou devant l’archevêque (assis). Avec le pouce, il lui applique une septuple onction : je t’oins pour la royauté de l’huile sanctifiée, au nom du père, du fils et du Saint-Esprit.

3/Le couronnement

Le roi revêtu de la tunique bleue va recevoir maintenant les deux principaux insignes du pouvoir royal, la couronne et le trône. Les douze pairs de France, les douze grands vassaux de la couronne sont alors appelés :

Ils font cercle autour de leur souverain soutenant comme arcs-boutants du trône, la couronne au-dessus de la tête du roi. Mais seul, l’archevêque de Reims, étant le premier pair est en droit de l’imposer, car c’est dieu qui donne la couronne de gloire et de justice. Il sera le premier suivi par les pairs du royaume à donner au roi le baiser de paix et de fidélité.

Pourquoi douze pairs ? En fait, si la couronne est remise sur la tête du roi par les douze pairs laïcs et ecclésiastiques qui représentent l’ensemble du peuple, ce nombre est symbolique. Il a été fixé au XIIe siècle et rappelle les compagnons légendaires de Charlemagne.

Juché entre terre et ciel

Charles X (1824-1836) dernier fils du dauphin et de Marie-Josèphe de Saxe (petit-fils de Louis XV), le dimanche 29 mai 1825. Il a été couronné par le 96e archevêque de Reims.

Le roi ainsi couronné peut alors prendre possession de son trône, un trône surélevé, dominant le jubé. Il est juché entre terre et ciel, il est devenu le médiateur entre Dieu et les hemmes, ses sujets. A ce moment précis, retentit alors une immense acclamation : Vivat rex in aeternum, (vive le roi éternellement) poussé par l’assistance au son des trompettes alors que les clochers de la ville sonnent à toute volée. Des salves sont tirées. Des colombes sont lâchées sous les voûtes de la cathédrale (signe de la libération de prisonniers par le roi). Des pièces et des médailles sont jetées à la foule enfin admise dans la cathédrale. La musique accompagne la liesse populaire. Le sacre royal s’achèvera par une grand-messe à laquelle le roi assiste, assis sur son trône. Au cours de l’offertoire, il apporte à l’archevêque le pain et le vin ainsi que treize pièces d’or symbolisant son union avec le peuple. Il va ensuite descendre jusqu’à l’autel communier sous les deux espèces (à l’instar des prêtres) dont le vin dans le calice d’or de saint Remi. Il date du début du XIIIe siècle. Il a servi pour la communion de 25 rois.

Le calice du sacre des rois de France, appelé aussi calice de saint Remi est un calice en or à pied circulaire orné de pierres précieuses et portant une inscription gravée en creux. Ce trésor de la cathédrale de Reims classé monument historique est exposé au Musée du Palais du Tau. Il fait partie des regalia de la couronne de France.

Quid de la reine ?

Si le roi est marié, la reine sera sacrée avec un cérémonial simplifié (sans la Sainte Ampoule). La plupart des souverains sont jeunes et célibataires. La dernière reine sacrée à Reims est Jeanne de Bourbon, lors du sacre de Charles V en 1364.

Après cinq heures de cérémonie

Après 5 heures de cérémonie, à l’opposé du matin, le roi et sa suite quitte la cathédrale en prenant  le chemin du roi qui la relie au palais archiépiscopal où un festin est préparé. Il réunit le roi couronne en tête avec ses ornements, sceptre et verge (la main de justice) étant posé sur la table. Il a devant lui, son connétable tenant l’épée. Il est entouré des douze pairs du royaume (les ecclésiastiques portent mitre et chape et les laïcs, manteaux et couronnes). Aucune femme n’est admise, elles sont présentes mais dans les tribunes. Si au Moyen Âge, le festin se déroule sous des charpentes dans la cour du palais du Tau, une salle du banquet de 32 m de long, 12 m de large et 12 m de haut sera plus tard aménagée. Le roi est assis devant la cheminée sous un dais et sur une estrade. Après la bénédiction du repas par archevêque, commencent alors les 3 services à la française sous la surveillance du grand maitre des cérémonies. Auprès du roi, le service est assuré par les grands officiers. Pour les autres, 160 personnes seront nécessaires lors du sacre de Louis XV. Il fut d’ailleurs le premier à se voir offrir le vin de Champagne effervescent. Quant à la composition du menu, si le simple bouillon de Charles X n’est qu’anecdotique par sa frugalité, au Moyen Âge, c’était pantagruélique : saumons, brochets, écrevisses, fromages, œufs, bœufs, lapin, poulets, chapons, porcs… Le peuple n’est pas oublié. Il se presse dans la cour du palais, autour du Cerf de bronze rempli de vin. Lors du sacre de Louis XII en 1498, plus de 15 000 tranchoirs (plateaux servant à trancher la viande) ont été mis à la disposition des pauvres.

“Vue du Festin du sacre de Louis XV au palais archiépiscopal de Reims le 25 octobre 1722” huile sur toile de Pierre-Denis Martin (1663-1742) : Dans cette esquisse, le roi âgé de 12 ans, est représenté à l’arrière-plan, sous un dais orné de fleurs de lys, assis seul à sa table, et entouré de très nombreux membres de la famille royale et de la cour. Il porte le célèbre habit de sacre, doublé d’hermine, et la couronne exécutée par Augustin Duflos. À gauche de la composition sont attablés les représentants du clergé, à droite les princes. Les princesses sont assises dans une loge, d’où elles regardent le festin, sans y participer. C’est l’une des rares représentations connues d’un roi de France à table (Tableau acquis par le Centre des monuments nationaux en 2000).

Les lendemains du sacre

Ces lendemains de sacre sont également encore très chargé pour le roi. Il doit assister à trois grandes cérémonies :

La Cavalcade le lendemain de Sacre à Reims de Louis XV, le 26 octobre 1722 Pierre Denis Martin

La cérémonie de l’ordre du Saint-Esprit. Il est le plus précieux des ordres de la monarchie. Il fut créé le 31 décembre 1578 par Henri III. Il s’agissait de fidéliser par serment autour du roi, l’élite du royaume comme le veut tout ordre chevaleresque dont le roi est le grand maitre.

La cavalcade. Grand cortège militaire appelé cavalcade. Elle accompagne le roi parti du palais du Tau pour assister à la messe à l’abbaye Saint-Rémi et faire ses dévotions devant le tombeau du saint. A sa tête, le roi caracole à cheval sur une haquenée blanche. Il est accompagné de troupe à cheval et des grands dignitaires du royaume. Ainsi, la cavalcade lors du sacre de Louis XV en 1722 réunissait environ 1300 personnes.

Le toucher des écrouelles. Une dernière démarche attend encore le souverain, il doit recevoir le lendemain du sacre un pouvoir surnaturel, celui de la guérison des écrouelles. Le sacre confère au roi un pouvoir thaumaturge. Il guérit les écrouelles (scrofules). Le premier roi à avoir guéri les écrouelles fut Louis VI (1108-1137). Prenons ce 29 octobre 1722 au matin. Louis XV qui vient d’être sacré (le 25 octobre), quitte le palais du Tau pour l’abbaye de Saint-Rémi. Il prie devant la chasse du saint, prend son repas, assiste à la messe puis se rend dans le jardin. Là, 2000 malades l’attendent. Le rituel est immuable. Le roi fait le signe de croix sur les plaies en prononçant : le roi te touche, Dieu te guérit. Faut-il croire à ce pouvoir alors que les certificats de guérison affluent après chaque cérémonie ? On sait que l’adénite tuberculeuse est une maladie susceptible de rémission voir de guérison spontanée…, alors !

Le palais du Tau, ancienne demeure de l’archevêque de Reims et séjour des rois de France pendant la cérémonie du sacre. C’est de là que partait le cortège royal et que se tenait le grand festin après le couronnement. Depuis le IXe siècle, le palais a accueilli à 33 reprises les souverains la nuit précédant leur sacre. Le Palais du Tau est aujourd’hui musée de l’Œuvre et musée du sacre des rois de France. Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, le palais présente aujourd’hui au public ses collections de sculptures, tapisseries, costumes et pièces d’orfèvrerie, objets d’art constituant un trésor exceptionnel du Moyen Âge au XIXe siècle.

D’adoubement à scrofuleux, les 30 mots clés pour comprendre la cérémonie du sacre des rois de France :

Reims, dans le secret du sacre des rois – Dico du patrimoine (dico-du-patrimoine.fr)