Cathédrales, Abbayes, Châteaux, Ponts…

Façade côté jardin du musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale, château Perrier. Un jardin qui se prolongeait jusqu’à la ligne de chemin de fer du temps de la création du château, au milieu du XIXe siècle. Photo © François Collombet

Entrée d’Epernay, avenue de Champagne, le long du château Comtesse Lafond (ancien château de Pékin). En face, la villa Eugène, magnifique demeure du XIXe siècle ayant appartenue à la Famille Mercier. La Villa Eugène entièrement rénovée est devenue un hôtel de luxe. Plus loin, la Maison Mercier (Photo FC)

A Epernay, capitale du Champagne, un seul lieu pouvait l’accueillir : la prestigieuse Avenue de Champagne (inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco). Ce musée du vin de Champagne (et d’archéologie régionale) qui vient d’être inauguré (sa conception a débuté en 2011) en est le véritable cœur ! Et qui d’autre que le château Perrier, style néo-Louis XIII, fermé depuis 1998, aujourd’hui magnifiquement rénové pour l’abriter ?  Ici, la vocation du musée est de plonger le visiteur dans l’histoire de la Champagne, de ses vignes et de son savoir-faire à travers un fonds viticole, composé de 6 000 pièces liées à l’histoire du champagne*. Mais avant de franchir la monumentale grille néo-XVIIIe du musée au 13 avenue de Champagne (oeuvre au XIXe siècle des artisans de l’Opéra Garnier), arrêtons-nous d’abord sur cette incroyable avenue de Champagne. Elle est qualifiée de Champs Elysées du Champagne. C’est une avenue en or !

* le Musée du Vin de Champagne et d’Archéologie régionale, reconnu patrimoine majeur par le Ministère de la Culture réuni plus de 100 000 pièces archéologiques et viti-vinicoles. En matière d’archéologie, le fonds du musée est constitué actuellement de 80 000 pièces régionales. C’est la première collection d’archéologie régionale en France, après le musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

Au sommaire :

I/ Avenue de Champagne, l’avenue de toutes les folies

La voici cette avenue de toutes les folies ! Epernay ville de 24 000 habitants, de tous les pores de ses pierres respire le champagne. Cette cité est dominée par les 207 m du mont Bernon. A ses pieds, un trésor géologique, ces fameuses couches crayeuses sur lesquelles s’est bâti l’empire sparnacien du Champagne. Il s’est bâti en dessus et en dessous, à la lumière et à l’ombre. Quelle autre ville aurait su avec autant de talent métamorphoser son Faubourg de la Folie (alors hors les murs), traversé autrefois par l’ancienne route royale reliant Paris à l’Allemagne, en une brillante avenue connue du monde entier, l’avenue de Champagne. Elle a été entièrement réaménagée en 2009 selon un concept d’avenue-parc qui attire 500 000 visiteurs par an, s’accaparant le titre de Champs Elysées de la Champagne. Serait elle alors au regard du contenu de ses caves, l’avenue la plus riche du monde*? Une allée triomphale de 1,5 km avec deux univers qui se superposent : dans l’ombre, un inframonde avec son incroyable labyrinthe de caves et de galeries (110 km) et au-dessus, à la lumière, l’apparat des grandes demeures construites à la gloire du Champagne : châteaux, hôtels particuliers, villas (la villa rose notamment), Maison Belle-Epoque, joyau de l’Art Nouveau. Ainsi, cours d’honneur, portails, grilles monumentales et même un lycée alternent le long de cette avenue avec des bâtiments à usage plus fonctionnels. Un mélange étonnant de styles Renaissance et néoclassique ! Voir cet ancien hôtel Gallice, au numéro 33, prix de Rome en 1896, occupé aujourd’hui par la Maison de Champagne de Venoge ! Mais c’est surtout la vision d’un XIXe siècle triomphant à l’architecture toute emprunte du style Louis XIII en brique et pierre tel le château Perrier (aujourd’hui, musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale) qui domine. Et puis, une fantaisie, l’étonnante réplique du Trianon de Versailles à l’entrée de l’avenue qui marque le plus les visiteurs. Mais derrière ce grandiose apparat, c’est tout un appareil de production et de commercialisation qui se cache avec celliers, pressoirs, caves et bureaux où travaillent quelques centaines de salariés au service du champagne.

*L’avenue de Champagne, une des artères les plus riches du monde. Dans ses caves vieillissent plus de 200 millions de bouteilles. Faites le calcul à raison de 30 € le flacon en moyenne basse !

L’Avenue de Champagne qui s’étend sur 1,5 km se compare aux Champs Elysées parisien. Sur ses deux côtés, quelques-unes des plus prestigieuses maisons de Champagne dans une profusion architecturale étonnante (Photo FC)

II/Le promeneur de l’avenue

Partons du bas, du rond-point place de la République pour remonter cette magistrale avenue dont chaque numéro est une ode au Champagne. A gauche, la rue Jean-Rémy Moët, maire d’Epernay. Il initia sous l’Empire l’exportation du Champagne vers l’Angleterre (malgré le blocus) ; à droite, une rue dédiée à Eugène Mercier, self made man et pionnier en communication qui fut le premier à passer commande aux frères Lumière d’un film publicitaire projeté lors de l’Exposition de 1900 (et dans lequel il apparaît). Il fut aussi le premier à rendre le champagne accessible à tous et le premier à voir son champagne référencé dans les grands magasins parisiens. Rêvons un peu à ce personnage hors du commun qui assura sa publicité lors de cette fameuse exposition en amarrant un ballon sur le Champs de Mars. Il accueillit près de 20 000 parisiens qui levèrent leur coupe à 300 m d’altitude en l’honneur de la maison Mercier. Accompagnés de ces deux figures emblématiques, remontons pas à pas cette avenue qui verra son inscription au patrimoine mondial de l’humanité se confirmer en 2015. D’abord, une première constatation, la partie nord de l’avenue (les numéros impairs), est réservée aux résidences du XIXe siècle, manifestant dans la pierre, la réussite éclatante de ces maisons de Champagne, alors que la partie sud entre la rue Jean Chandon Moët et la rue Croix de Bussy est plus portée sur le côté économique et industrieux de ces grandes maisons

Une avenue à la gloire des grandes marques de Champagne

Depuis l’avenue de Champagne, l’hôtel de ville Il n’est autre que le somptueux hôtel particulier que fit construire en 1858, Victor Moët pour sa fille et son gendre (le bureau du maire se trouve dans leur ancienne chambre à coucher). Il a été conçu dans le plus pur style des hôtels particuliers du Second Empire.  Il est le pendant du château Perrier achevé quatre ans plus tôt. Voir à l’extrémité du jardin et donnant sur l’avenue, ses grottes et son temple de l’Amour, réplique de celui de Versailles. Devant la façade, le Monument aux Morts est l’oeuvre d’Henri Giraud, architecte, et de Jules Déchin, Prix de Rome Sculpture (Photo FC)

L’empire Moët & Chandon tient le début de l’Avenue

Statue de Dom Pérignon contre le mur Moët & Chandon, figure in contournable du Champagne (Photo FC)

C’est simple, Moët & Chandon (qui appartient au groupe de luxe LVMH), occupe de chaque côté, tout le bas de l’Avenue. C’est le champagne le plus vendu au monde. Son brut impérial* représente 85 % de sa production. Il possède en propre, 1200 ha (mais s’approvisionne sur 4200 ha supplémentaires). A lui seul, Moët & Chandon produit 32 millions de bouteilles. Son chef de cave (depuis 2005), Benoît Gouez présentait le nouveau millésime 2012, le 74e depuis 1842, date du premier millésime de la Maison fondée en 1743 (mais ses origines sont plus anciennes). Le fondateur Claude Moët est né sous Louis XIV. Il s’est établi comme commissionnaire en vins à Epernay. Il a l’idée de s’installer « hors les murs » dans le faubourg de la Folie et, à l’emplacement de l’actuel hôtel Moët, il fait creuser des caves et aménager un pressoir, des celliers et des jardins.

*Cuvée hommage à l’amitié qui liait Jean-Rémy Moët et Napoléon.

L’incommensurable lègue de Raoul Chandon de Briailles (1850-1908)

Voici l’une des personnalités les plus marquantes d’Epernay. Il fut Président de la maison du champagne Moët & Chandon mais aussi historien, scientifique, bibliophile, musicien (ami de Wagner), mécène. Il va léguer à la ville en 1908, une importante bibliothèque d’étude sur la vigne et le vin et l’histoire champenoise. Il fut également l’un des principaux acteurs de la lutte contre le phylloxera. Il fonda pour cela l’école pratique de viticulture, qui enseignait la technique de greffage et lança des recherches pour l’utilisation des porte-greffes américains dans la lutte contre la maladie.

Le site Moët & Chandon, ouvre à Epernay, l’avenue de Champagne. Ce bâtiment, achevé en 1934 (le précédent avait été détruit par les bombardements de 1918), est une belle illustration du style Art déco avec emploi du béton et toits en terrasse. Imaginons qu’en dessous, 28 km de galerie composent les immenses caves de la marque à 10 ou 15 m sous terre. Y dorment 90 millions de bouteilles de champagne (Photo FC)

 

Au 20, avenue de Champagne, s’élève l’hôtel particulier, œuvre en 1793, de Jean-Rémy Moët (petit-fils du fondateur) : une cour en U formée de deux ailes et d’un corps de logis de style de la Renaissance avec une galerie au-dessus du premier étage. L’ensemble est fermé par une grille et un grand portail monumental.  (Photo FC)

 

Le Trianon et l’Orangerie. Entre 1805 et 1817, Jean-Rémy Moët qui avait acquis la parcelle située en face de son hôtel particulier (aujourd’hui, de l’autre côté de l’avenue de Champagne) fait édifier deux pavillons identiques, dont la résidence de Trianon et son orangerie. L’ensemble fut dit-on dessiné par le célèbre décorateur Jean-Baptiste Isabey. Il le destinait à lui et à ses deux enfants. (Adélaïde, le Trianon et Victor, l’hôtel Chandon). Napoléon et Joséphine y ont séjourné à plusieurs reprises. Parmi les autres personnages célèbres, Richard Wagner. Il s’y arrêta le 2 février 1858 pour rencontrer son ami le peintre Kietz alors portraitiste de la famille Chandon. C’est lors de ce séjour à Trianon que Richard Wagner aurait trouvé, l’inspiration de son opéra ” Tristan et Yseult ” (ou était-ce «L’Or du Rhin » ?), en jouant sur l’orgue Cavaillé-Coll à 18 jeux du salon de musique. Par ailleurs, Franz Liszt, beau-père de Wagner, venait souvent jouer sur cet orgue dans le salon des Chandon. (Photo FC)

La Maison Belle Epoque propriété du Champagne Perrier-Jouët

La Maison Belle Époque propriété de Perrier-Jouët est l’un des joyaux de l’avenue de Champagne. Elle a été totalement restaurée en 2017, un chantier de deux ans pour cette demeure construite à la fin du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, après de longues années de recherches, elle rassemble un mobilier, objets et œuvres d’art, la plupart signés des grands maîtres Gallé, Majorelle, Guimard, Daum, Lalique, Mucha, Georges de Feure… ; une impressionnante collection d’Art Nouveau français : la plus grande collection privée en Europe précise Perrier-Jouët.

La Maison Belle Époque soirée d’inauguration de l’ancienne demeure historique de la famille fondatrice sur plusieurs générations. Elle a été restaurée en 2017, retrouvant son style Art nouveau originel.(Photo FC)

 

Maison Belle Epoque, avenue de Champagne, le salon (Photo FC)

 

Maison Belle Epoque, avenue de Champagne : du salon Majorelle aux créations du célèbre artisan verrier Emile Gallé sans oublier “L’Eternel printemps” de Rodin, 220 oeuvres sont exposées ici (Photo FC).

 

Service du Champagne dans les jardins de la Maison Belle Epoque. L’affinité de la Maison Perrier-Jouët avec le mouvement Art nouveau trouve son plus bel exemple dans l’emblématique anémone du japon dessinée pour la Maison en 1902 par Émile Gallé qui apparaît sur les verres et les bouteilles. (Photo FC)

 

Maison Belle Epoque : sur la terrasse face au jardin, la table est dressée (Photo FC)

Pol Roger : the most drinkable address in the world (au n°18 de l’avenue)

Pol Roger est l’une des rares maisons demeurée véritablement familiale et incontestablement l’une des plus anciennes (fondée en 1849). Elle est située à Epernay, au 44, avenue de Champagne. Elle s’est symboliquement déplacée jusqu’au coin de la rue adjacente pour une adresse plus adéquate : 1, rue Winston Churchill. The most drinkable address in the world aurait dit Winston Churchill ; un déplacement en l’honneur de celui qui mit au plus haut le Champagne Pol Roger* depuis sa rencontre en 1944 avec Odette Pol-Roger (épouse de Jacques Pol Roger, troisième génération de la famille). Elle fut une amie fidèle du couple Churchill et assistera aux obsèques de Winston à la cathédrale Saint-Paul de Londres en 1965.

*En fournissant un champagne peu dosé, Pol Roger contribua de façon significative à créer le style de champagne qui finit par s’imposer complètement sur le marché britannique.

Pol Roger, avenue de Champagne : derrière une façade discrète, se cache l’une des rares maisons demeurée véritablement familiale et incontestablement l’une des plus anciennes. Cet emplacement (les numéros 32 et 34) construit dans les années 1930, sert à la production et au stockage. Mais Le siège de la Maison est à quelques dizaines de mètres de là, occupant un château en brique rouge et de pierre blanche (voir juste en dessous) Photo FC

 

Ce château siège de la Maison Pol Roger est comme il se doit, rue Winston Churchill (à l’angle de la rue Croix de Bussy). Mais la Maison a entrepris les travaux de fondation d’un futur bâtiment de production situé au cœur d’Épernay. Il est juste au-dessus de ses caves, l’espace occupé servait autrefois de jardin et de potager (Photo Pol-Roger)

 

Champagne Pol Roger. En premier plan, Damien Cambres chef ce caves de la Maison depuis 2018, Hubert de Billy (Directeur des Relations Publiques et du Développement), et Laurent d’Harcourt, président du directoire* lors d’une dégustation du Brut Vintage Magnum, millésimes 2008, 2006, 2004, 2002 et 2000 chez Pol Roger à Epernay. *Tous les 3 font partie du directoire avec Isabelle Gautier (Directrice Financière) Photo FC.

 

Cuvée Sir Winston Churchill 2002, millésime exceptionnel servi lors d’un déjeuner conçu par le chef Philippe Mille du restaurant Les Crayères à Reims ; déjeuner où fut également servi en magnum, les millésimes 2006, 2004 et 2000 (Photo FC)

En remontant l’avenue de Champagne, d’autres grandes maisons de Champagne y sont également à l’apparat

Champagne Collard-Picard. Caroline & Olivier créaient le Champagne Collard-Picard en 1996 dont le siège est situé au 15, avenue de Champagne. En se mariant, ils rapprochaient deux terroirs, la vallée de la Marne (Collard) et la Côte des Blancs (Picard). Photo FC

 

La Maison de Champagne Esterlin a son siège au 25, avenue de Champagne. C’est d’ailleurs la seule coopérative à s’y trouver. Son bâtiment est inspiré des Villas de Palladio (Vénétie) Photo FC

 

Champagne de Venoge. Hôtel particulier (ex-Maison Gallice) au 33, avenue de Champage qui accueille aujourd’hui, le siège des champagnes de Venoge. Il fut construit à la demande de Marcel Gallice, alors directeur de la Maison Perrier-Jouët. Cet hôtel particulier, achevé en 1899, a valu à l’architecte Charles Blondel, auteur de cet œuvre, le prix de Rome en 1896. (Photo FC)

 

Champagne Boizel. En 1984, Boizel (Maison fondée en 1834) rachetait au 46, avenue de Champagne, les bâtiments de Pol Roger datant des années 1850. Les caves spectaculaires et ouvertes à la visite furent creusées à partir de 1858 (Photo FC)

 

Champagne A. Bergère. En 2007, Brigitte Bergère, prit la décision d’investir dans une adresse prestigieuse : les 38-40, avenue de Champagne, dans une très belle demeure 1900, cernée par les grandes marques. Le Champagne A. Bergère propose ici, une boutique de vente et de dégustation, des chambres d’hôtes et un caveau de dégustation (Photo FC)

 

Champagne Leclerc Briant. Au XVIIIe siècle, alors que la célèbre avenue de Champagne à Epernay était encore appelée « Faubourg de la Folie », un négociant en vins de Champagne y fit construire sa demeure familiale. Celle-ci a récemment achevé sa rénovation, pour accueillir le Champagne Leclerc Briant, son actuel propriétaire qui en a fait une salle de dégustation et un hôtel (Photo FC)

 

Champagne de Vignerons, 17, avenue de Champagne accueille le Syndicat Général des Vignerons qui regroupe 15 700 vignerons exploitent 34 300 ha. Plus de 10 000 vignerons vendent leurs raisins aux Maisons de champagne et environ 4 700 élaborent et commercialisent leur champagne, directement ou via leurs Coopératives (Photo FC)

Derniers éclats de bulles avenue Champagne : Mercier, Comtesse Lafond, De Castellane…

Se remettre en jambe, c’est aussi gagner le haut de l’avenue et crapahuter dans les quelques arpents de vignes au dessus de la Maison Mercier jusqu’à un alignement de cheminées en béton utilisées pour la ventilation des caves. De là, superbe vue sur Epernay, la tour de Castellane, la vallée de la Marne et tout au loin perdu au milieu du vignoble, le coteau d’Hautvillers. Bref, la conviction d’être au cœur du Champagne !

La vigne occupe le haut de l’avenue de Champagne, près des champagnes Mercier, architecture très contemporaine dont on voit le haut de la toiture. En contre bas, la tour de Castellane (Champagne de Castellane), symbole d’Epernay, près de la voie ferrée et de la Marne. A l’horizon, de tous côtés, la vigne : Äy, Dizy, Hautvillers, Cumières… (Photo FC)

Mercier, une allure de winery californienne

Mercier (marque du groupe LVMH depuis 1987) située tout en haut de cette avenue, apporte la seule touche contemporaine (et anticonformiste !) de toutes ces grandes maisons de Champagne présentes sur l’avenue : un immense pavillon aux allures des wineries californiennes. Il est l’œuvre de l’architecte-urbaniste Anne Fourcade qui sut intégrer dans son aménagement (dans l’espace d’accueil) le plus grand foudre du monde capable de contenir l’équivalent de 213 000 bouteilles de Champagne. Il nécessita l’abattage de 150 chênes de Hongrie et contint sa première vendange en 1881. Son ornementation confiée au sculpteur champenois Gustave-André Navlet représente deux allégories féminines, l’union de la Champagne et de l’Angleterre (une réplique de celle sculptée plus bas dans les caves). C’est ce foudre de 23 tonnes, tracté d’Epernay à Paris par 12 paires de bœufs qui fut l’attraction de l’Exposition universelle de 1889.

Maison de Champagne Mercier, avenue de Champagne. Son espace accueil a su intégrer dans son aménagement le plus grand foudre du monde capable de contenir l’équivalent de 213 000 bouteilles de Champagne (Photo DR)

Ne m’appelez plus Château de Pékin

Une fois passée la villa Eugène qui appartint à Mercier (aujourd’hui un hôtel 5 étoiles de 15 chambres), de l’autre côté de l’avenue, se dressent les deux tours de l’étonnant château de Pékin dont le nom évoquerait l’entrée des troupes impériales dans la capitale chinoise. Il fut le siège de la Maison jusqu’en 1878. Laissé à l’abandon, dévoré par le lierre, pillé, c’est presque une ruine que rachète en 2000, le baron Patrick de Ladoucette venu des bords de Loire (de Pouilly Fumé où ses sauvignons sont une référence mondiale) pour étendre son royaume viticole au Champagne. Il a dédié son Champagne à la Comtesse Lafond, son aïeule. Parc et château ont été magistralement restaurés. Les grilles sont grandes ouvertes, la vue au milieu des cèdres s’étend sur la vallée. Le château qui semble si étroit d’apparence s’articule en fait en plusieurs ailes. Sur la pelouse devant la façade, une zone d’atterrissage pour hélicoptère. Ne m’appelez plus jamais château de Pékin mais Comtesse Lafond. Une erreur peut être pour le marché chinois !

Château Comtesse Lafond (ex-château de Pékin) 79, avenue de Champagne. En 1873, Eugène Mercier acquiert le Château de Pékin avec les entrepôts, pressoirs, celliers de dégorgement, d’expédition et caves… Cette demeure historique appartenait à François Abelé de Muller, dirigeant de la Maison Abelé, de Reims. Il sera le siège de la société Mercier (jusqu’en 1878), ainsi que la nouvelle résidence d’Eugène Mercier et de sa fille. Mais la Maison cèdera le château devenu une ruine en 2000, au baron Patrick de Ladoucette. Il le restaurera et en fera le siège social du Champagne Comtesse Lafond (Photo FC)

La tour de Castellane si étroitement associée à Epernay 

Enfin comment ne pas évoquer le point le plus haut de la cité, son emblème, son phare, la très reconnaissable tour de Castellane, en contrebas de l’avenue (au 57, rue de Verdun), si étroitement associée à Epernay qu’elle en est devenue le symbole. Ferait-elle 63 ou 66 m de haut ? On n’en est pas sûr, mais pour ses marches, c’est certain, elles sont au nombre de 237. Cette tour couronne l’une des plus puissantes Maisons de Champagne de son époque créée par le vicomte de Castellane. Il fit porter à sa marque, la Croix de Saint-André de couleur rouge, en hommage à l’étendard du plus ancien régiment de Champagne. De Castellane appartient aujourd’hui à Laurent-Perrier. Inscrits sur les murs extérieurs de Castellane, en lettres blanches sur fond bleu, le nom de toutes ces villes New-York, Sidney, Barcelone, Copenhague, Alexandrie, Bucarest… évoque encore la renommée de cette prestigieuse Maison. Ses bâtiments abritent non seulement un centre de vinification ultra moderne mais aussi un musée du Champagne qui contient une extraordinaire salle des étiquettes, la mémoire de ce que fut cette maison dans l’industrie du dessin et de l’imprimerie consacrés au Champagne.

Maison de Champagne de Castellane. En 1895, le vicomte Florens de Castellane construit sa Maison de champagne à Epernay. La conception-réalisation de ces bâtiments est attribuée à Marius Toudoire, un architecte de renom. L’édifice est composé de briques rouges, de balustres en pierres de taille, de sculptures et décorations en émail, une œuvre caractéristique de cette époque. Quant à la tour, édifiée entre 1903 et 1905 et culminant à 70 m de haut, elle devait faire office de château d’eau. Les celliers sont directement raccordés au chemin de fer par lequel les vins sont expédiés vers diverses Métropoles du Monde dont les noms restent sculptés en gravures d’émail sur le fronton des bâtiments: Bruxelles, Londres, Paris, New-York, Barcelone, Alexandrie, etc. (Photo FC)

III/ Un musée qui raconte l’histoire du Champagne et de la Champagne

Et quel défi ! Comment faire rentrer la scénographie d’un musée contemporain dans le respect d’un château édifié au milieu du XIXe siècle ?

Façade côté jardin du musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale, château Perrier. Un jardin qui se prolongeait jusqu’à la ligne de chemin de fer du temps de la création du château, au milieu du XIXe siècle (Photo FC)

 

Section Archéologie pour découvrir les traces humaines de la préhistoire jusqu’au Moyen Âge grâce à la richesse des objets retrouvés dans la région. Le parcours de visite comme on le voit est jalonné de dispositifs multimédias (Photo FC)

 

Laure Ménétrier Directrice Conservatrice du musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale d’Epernay devant l’une des pièces les plus précieuses exposée, cette épée mérovingienne. Laure Ménétrier fut durant une dizaine d’années la directrice des musées de Beaune ayant participé à la labellisation des Climats de Bourgogne à l’Unesco. (Photo FC)

Transformer un château du XIXe siècle pour en faire l’un des plus beaux et des plus contemporains musées régionaux 

Imaginez un château de 33 pièces, le plus haut bâtiment de la ville construit et aménagé entre 1852 et 1857. Son but, afficher l’éclatante réussite de Charles Perrier, maire d’Epernay et surtout directeur des champagnes Perrier-Jouët. Avouons que ce château a de l’allure avec ses quatre façades dissemblables mais dans le style de l’époque ; un petit air du Palais du Luxembourg, de l’aile Lescot du Louvre ou encore du château de Sceaux. Pour l’intérieur, voyez les salons restaurés du rez-de-chaussée ou le magistral escalier d’honneur inspiré de celui réalisé au Louvre par Charles Percier et Pierre Fontaine. Les décors ou la grille néo-XVIIIe ont été exécutés par les mêmes artisans qui firent ceux de l’opéra Garnier ou de l’Hôtel de ville de Paris. Quant aux jardins (deux fois plus grand qu’aujourd’hui), un rêve quasi versaillais. Donnant sur les appartements de la famille, on y trouvait une roseraie, des serres, une grotte en rocaille, un ruisseau artificiel…

Epernay château Perrier, suspendu au plafond du grand escalier, le majestueux lustre composé de 300 boules de verre, œuvre du maître verrier Olivier Juteau (Photo FC)

Un château mais aussi un centre de vinification et de stockage

A l’architecte choisi par Charles Perrier, Pierre-Eugène Cordier, fut demander l’impossible : réunir dans un même édifice (un château en l’occurrence), espace de réception et de fêtes, résidence privée mais aussi locaux de production pour l’élaboration du Champagne et son stockage. Sous l’édifice, de vastes caves furent creusées avec une particularité : être directement reliées à la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg. Elle avait atteint Epernay en 1849 (inauguré par Louis-Napoléon Bonaparte), avant d’être achevée en 1852.

Charles Perrier et Octavie Gallice profiterons 20 ans de leur beau château qu’ils léguèrent à leur neveu, Henri Gallice.

Musée d’Epernay, les immenses caves du château Perrier avaient la particularité d’être directement reliée à la ligne de chemin de fer (Photo FC)

Heur et malheur du château Perrier

Durant la première Guerre mondiale le château est transformé en hôpital provisoire. Le grand caveau reçoit les blessés d’un cantonnement de l’armée italienne. Entre 1939 et 1940, il accueille la Royale Air Force de l’armée britannique, puis l’armée allemande de 1943 à 1944 et enfin les soldats américains qui y resterons jusqu’en 1945. Chaque armée y laissa ses strates de graffitis toujours visibles. A la mort d’Henri Gallice, le château est vidé et acquis par la ville d’Epernay. Un premier musée est inauguré en 1956. Il sera fermé en 1998. L’idée d’un nouveau musée émerge en 2011. Il est baptisé musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale. En 2016, les travaux de réhabilitation sont confiés au cabinet Frenack + Julien. Un choix judicieux pour un projet qui se concentre sur l’existant en prenant en compte l’intégralité des espaces du château. Sur l’aménagement en musée, l’architecte Béatrice Julien explique la complexité du bâtiment dont il a fallu tenir compte dans la conception du parcours. Il y avait une sorte de gradation dit-elle. Plus nous montions, plus nous avions de liberté. Au rez-de-chaussée, il n’était pas question de toucher aux décors et aux boiseries historiques. Le premier étage s’articule autour de l’escalier d’honneur, très présent. Le dernier niveau, en revanche, était plus dépouillé. Nous avons pu jouer avec la lumière, les couleurs et, surtout, ouvrir, décloisonner les salles.

L’incroyable imagination des artisans et manufactures de verre et de cristal (Baccarat, Lalique, Saint-Louis…) au service du Champagne pour concevoir coupe, flûtes, verres, rafraichissoirs et seaux (Photo FC)

La visite et son fil conducteur, la craie

L’objectif ici est de faire découvrir de manière ludique la richesse des collections afin d’explorer et de faire comprendre l’identité champenoise sous tous ses aspects : géologie, occupation humaine et exploitation des ressources naturelles par l’Homme, savoir-faire autour de l’élaboration du vin de Champagne. Le parcours de visite a été pensé en quatre sections* qui se succèdent et qui ont pour fil conducteur le sol crayeux, substrat exploité par les premiers agriculteurs du Néolithique jusqu’aux viticulteurs champenois. Ses qualités ont permis la bonne conservation des objets trouvés lors des nombreuses fouilles archéologiques de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. Ainsi, comprend-t-on mieux l’alliance entre une géologie, celle de la craie, les populations qui se sont établies et les productions qu’elles ont su y faire naître.

Le rez-de-chaussée est composé de la salle réservée aux collections géologiques, salle d’introduction du parcours et des salons historiques. Ces derniers, classés Monuments historiques, ont été restaurés à l’identique afin de préserver l’histoire des lieux

Au second étage, la redécouverte de la charpente du bâtiment a permis de créer un espace particulièrement adapté à la mise en valeur des collections archéologiques. Ainsi, au premier étage, le parcours du vin de Champagne est sublimé par les décors classés Monuments historiques, tels que les parquets et les peintures murales. Au même niveau, sont présentées les collections variées du musée, provenant de collectionneurs locaux, dans une atmosphère intimiste à l’image des cabinets de curiosité d’antan.

*1/La section Géologie pour mieux comprendre la formation du paysage et du sous-sol crayeux champenois. 2/La section Archéologie pour découvrir les traces humaines de la préhistoire jusqu’au Moyen Âge. 3/Cette section est consacrée au vin de Champagne, à son élaboration et à son histoire. 4/Enfin, la section dite Collectionneur met à l’honneur les mécènes et les explorateurs de la fin du XIXe siècle et de la Belle Epoque.

Epernay, visite du musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale. Devant ce qui fut l’une des cloches de l’abbaye d’Hautvillers *(Dom Pérignon), Laure Ménétrier Directrice Conservatrice du musée et Franck Leroy, maire d’Epernay qui porta à bras le corps ce projet (Photo FC)
*A moins de 10 km au nord d’Epernay

Pour se rendre à Epernay, au musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale, 13, avenue de Champagne :

Pan, Vénus et Amour, terre cuite (collection Jacquot) d’après Michel Claude dit Clodion exposée au musée d’Epernay (Photo FC)
Entrée du musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale d’Epernay, château Perrier construit de 1851 à 1854. Il est entièrement restauré. Il donne sur l’avenue de Champagne. La façade faite de brique et de pierre est de style néo-Louis XIII. Dans la cour, la statue équestre « Le Veneur », réalisé à la fin du XIXe siècle, rappelle la passion de la famille Perrier pour la chasse à courre (Photo FC)