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Ce château Renaissance devenu Cité internationale de la langue française

Château de Villers-Cotterêts, cour des offices où les chercheurs ont mis au jour “la basse-cour, c’est-à-dire les dépendances du château médiéval”. En pénétrant aujourd’hui dans cette cour, apparaît la façade sud du Logis royal : un joyau de la Renaissance avec les escaliers du Roi et de la Reine et la chapelle qui a retrouvé sa hauteur et ses ornements, l’un des plus beaux exemples de la sculpture architecturale du XVIe siècle. Photo © François Collombet
Château de Villers-Cotterêts et sa verrière (600 m2) qui couvre toute la cour du Jeu de paume*. Elle est complétée d’un « ciel lexical » constitué d’un ensemble de mots en suspension, projetant leur ombre le jour et s’illuminant la nuit. Cent mots ont été retenus : du mot alexandrin au mot verlan, y compris le verbe divulgâcher (spoiler en bon français !) *L’emplacement du véritable Jeu de paume de François 1er a été retrouvé (le plus ancien à avoir fait l’objet d’une fouille en France). Il couvrait alors presque la surface de deux terrains de tennis (39 m sur près de 18 m de large). Pour remplacer ce Jeu de paume en extérieur, un second a été établi ici, dans le bâtiment dit « du Jeu de Paume », entre 1762 et 1767, par Louis-Philippe d’Orléans. Photo © François Collombet
En levant les yeux dans cette chapelle, chef-d’oeuvre de la Renaissance, quel décor ! Voir cet imposant entablement où les emblèmes du roi sont omniprésents : écus royaux, couronnes, fleurs de lys, initiales couronnées, salamandres, colliers de l’ordre de Saint-Michel (ordre de chevalerie monarchique). Photo © François Collombet

Un château dédié à la langue française et aux cultures francophones

Ma patrie c’est la langue française écrivait Albert Camus. Et cette langue française utilisée par 360 millions de locuteurs dans le monde, a depuis 2023, son cœur névralgique. Elle a trouvé son quartier général à Villers-Cotterêts (département de l’Aisne) dans ce château si cher au roi François 1er ; un imposant château, à l’architecture et au décor Renaissance ! C’est l’une des rares demeures royales de la Picardie qui rivalise avec les plus belles réalisations de son époque. La proximité de la forêt de Retz à l’époque “la plus belle et la plus renommée de France”* incita François Ier à se faire construire une résidence de chasse. Aujourd’hui, fait du Prince (!), le château de Villers-Cotterêts vient d’être magnifiquement restauré pour être dédié à la langue française et aux cultures francophones (dans l’espace du Logis royal et du bâtiment du Jeu de paume).

*Depuis 2022, la forêt domaniale de Retz (13 000 ha) est labélisée Forêt d’Exception®.

Alexande Dumas, petit fils d’une esclave noire, né à deux pas du château

Et quelle incroyable cohabitation ! Alexandre Dumas est né à deux pas du château. Lui petit fils d’une esclave noire, ce quarteron (issu d’un mulâtre et d’une blanche) est un géant de la littérature française, auteur d’un chef d’oeuvre absolu “Les Trois Mousquetaires” roman connu dans le monde entier sans cesse adapté au cinéma (dernier opus, 2023) et dans des séries. Mais il n’est pas le seul. Cette région des Haut-de France à 96 km de Paris (54 minutes par le train depuis la gare du Nord), est une terre d’écrivains. Faudrait-il citer Jean Racine qui a 10 km de là, passa son enfance à La Ferté Milon ; Jean de La Fontaine, le plus célèbre des fabulistes né à Château-Thierry (à 40 km) ; Jean-Jacques Rousseau mort à Ermenonville (40 km) ou encore, à 35 km, la maison de Camille et Paul Claudel à Villeneuve-sur-Fère.

Comment Villers-Cotterêts est devenu capitale de la francophonie ?

Le tout premier jalon pour l’essor de la langue française est l’Ordonnance de Villers-Cotterêts. Elle est aussi le plus ancien texte législatif encore en vigueur en France. Légitime consécration donc pour ce château d’être sur les fonds baptismaux de la francophonie ! En août 1539, François 1er séjournant en son château de Villers-Cotterêts, signait l’Ordonnance instituant l’usage du français dans tous les actes officiels. Celle-ci est composée de 192 articles, établissant également que tous les curés de chaque paroisse devaient tenir des registres de baptêmes et de sépultures (bases de notre état civil) : “nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, […] soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement”. Une Ordonnance qui imposait dans les actes officiels l’usage du français* en lieu et place du latin. Elle survivra à douze régimes successifs !

*Mais c’est à partir de la Révolution, et surtout de la Troisième République et des lois Jules Ferry, que la langue française se diffusera et se généralisera sur l’ensemble du territoire, jusqu’à ce que son statut de langue officielle soit inscrit dans la Constitution de la V République en 1992

Placé au-dessus du maître-autel sculpté de la chapelle du château, cette plaque gravée sur marbre rappelle qu’ici même, dans le logis royal, fut promulgué l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539 par François 1er. Elle instituait l’état civil et imposait que tous les actes légaux et notariés soient rédigés en français et non plus seulement en latin. Photo © François Collombet
Dans le parcours de visite : “l’aventure du français” cette “bibliothèque magique”. Sur ses faces extérieures abritant des activités conçues pour tous les goûts, plusieurs milliers d’ouvrages écrits en français, de tous les continents, de toutes les époques et de tous les genres (romans, poésie, essais, bande-dessinée, littérature jeunesse…) sont présentés et consultables sur place. Photo © François Collombet

Il retrouve aujourd’hui la flamboyance de sa “Renaissance”

Façade sud du château de Villers-Cotterêts avec sa loggia attribuée à Philibert de l’Orme. Elle se détache des modèles italianisants, et doit être considérée comme un joyau de la Renaissance française. Photo © François Collombet
Chef-d’œuvre de l’architecture de la Renaissance, la chapelle du château est parmi les premières en France à rompre avec la tradition gothique, avec notamment une voûte en berceau. Les murs sont ornés de colonnes cannelées aux chapiteaux composites surmontées d’un imposant entablement. Photo © François Collombet

L’escalier du Roi et l’escalier de la Reine : Deux escaliers en pierre, rampe sur rampe à l’italienne sont situés de part et d’autre de l’aile sud du Logis royal au décor sculpté foisonnant. Les voûtes à caissons (origine qui remonte à l’Antiquité), de l’escalier du Roi, et la voûte à doubleaux de l’escalier de la Reine présentent un décor en bas-relief (emblèmes royaux pour l’escalier du roi et scènes mythologiques, référence à l’Antiquité dans l’esprit de la Renaissance, pour l’escalier de la reine). Les moulurations qui les séparent sont recouvertes de motifs végétaux.

Logis royal, plafond à caissons de l’escalier du Roi. Photo © François Collombet
Ce grand escalier du Roi couvert d’une voûte en anse de panier, pourvue d’éléments de décor familiers aux Valois : salamandre, « F » à foison, cordelettes finement ciselées, mascarons feuillagés… Photo © François Collombet
L’escalier de la Reine au plafond orné de sujets mythologiques d’une exquise variété, satyres barbus contre nymphe endormie, Jupiter embrassant Cupidon… Photo © François Collombet

Oui, au départ une magnifique résidence de chasse en bordure de la forêt de Retz ! “Voyant ce lieu prochain d’une telle forest, excedant en grandeur toutes celles de France” devait souligner Jacques Androuet du Cerceau (1510-1585). C’est à son retour en France, après la défaite de Pavie (en Italie) et la captivité madrilène qui s’en est suivie, que François 1er prend la décision d’y faire relever le château de Villers-Cotterêts (une bâtisse du XIIe siècle*). Sa construction au cœur du duché de Valois est au bon plaisir du roi. A cette époque, Villers-Cotterêts n’est encore qu’un village dont la population s’est accrue, pendant la Guerre de Cent Ans avec l’arrivée de réfugiés venant de Crépy, Pierrefonds et Vivières. Les travaux sont confiés aux maîtres maçons parisiens Jacques et Guillaume Le Breton, frères cadets de Gilles Le Breton qui travaillait à la reconstruction du château de Fontainebleau depuis 1527. Leurs noms figurant dans les Comptes des bâtiments du roi de 1533 à 1550. Ils débutèrent en 1532 pour se terminer en 1556 sous le règne d’Henri II, un habitué de Villers-Cotterêts. Ne disait-on pas qu’il y pratiquait la chasse aux cerfs sept ou huit  heures d’affilée. Les travaux d’achèvement furent confié au premier architecte du roi, Philibert Delorme. Le château devenait alors l’espace d’une chasse, lieu de pouvoir où la politique du royaume se décidait. Si François 1er y signa la fameuse Ordonnance qui imposait le français dans les actes juridiques et administratif, son successeur Henri II, accorda aux écossais et aux norvégiens pour contrecarrer les ambitions de la couronne d’Angleterre, la possibilité de résider et acquérir des biens immobiliers en France. En 1559, à la mort d’Henri II, le château fit partie du douaire de la reine de France, Catherine de Médicis, sa veuve.

* De ce château médiéval (château de La Malmaison) ne subsiste que des fondations et une partie de l’élévation d’une tour du XIIIe ou du XIVe siècle. Il fut incendié dans la première moitié du XVe siècle et restauré dans la seconde moitié du siècle.

Sous le règne du Roi-Soleil, Molière joue Tartuffe à Villers-Cotterêts

Sous le règne du Roi-Soleil, le château se métamorphose. En 1661, Louis XIV le donne en apanage à son frère, Philippe d’Orléans. Lorsque le roi y séjourne notamment en 1664, il peut constater la suppression des galerie du jeu de paume* permettant l’ouverture de fenêtres. André Le Nôtre, célèbre jardinier de Versailles, est chargé de transformer le parc. Il crée un axe central aligné sur le château offrant une perspective sur un kilomètre. Et pour unifier cette impressionnante composition, il fait percer une porte dans la façade nord du logis. 1664 fut également l’année où Molière et sa troupe sont invités à Villers-Cotterêts. Ils jouent devant le roi Tartuffe, pièce très appréciée par le souverain mais pourtant interdire de représentations publiques quelques mois plus tôt à la demande de l’archevêque de Paris. Le 18 octobre 1722, le futur Louis XV, en route vers son sacre à Reims dort au château de Villers-Cotterêts. On se rappelle encore, les fêtes grandioses organisées par le régent (Philippe II d’Orléans) à l’occasion du sacre de Louis XV où 1 000 invités engloutissent 80 000 bouteilles de vin de Bourgogne et de Champagne et applaudirent 140 acteurs de l’Opéra. Un château qui ne porta jamais aussi bien le surnom que lui avait donné François 1er : Mon Plaisir.

*Un nouveau bâtiment du Jeu de paume sera construit (côté est, dans le prolongement de l’aile sud) en 1767 pour accueillir à nouveau (mais en intérieur) cette pratique redevenue à la mode.

Dessin du château de Villers-Cotterêts sur un panneau de bois© David Bordes / CMN

Au XVIIIe siècle, le chamboulement !

Le XVIIIe siècle voit le château se transformer. Un seul mot d’ordre : ouvrir de tous côtés avec notamment des portes-fenêtres donnant sur des perrons. Les façades (ouest, nord et est) donnant sur le parc sont remaniées pour un aspect plus classique (le goût du jour) quitte à gommer les ornements Renaissance. Façade sud, c’est l’installation d’un balcon en fer forgé aux motifs rocaille et la suppression des baies géminées des lucarnes. Côté nord, la façade se voit doublée d’une galerie au rez-de-chaussée et d’un couloir aux étages (la chapelle fut entresolée) afin d’améliorer la liaison entre les ailes est et ouest. 

Façade donnant sur le parc du château de Villers-Cotterêts ; un parc reconnu comme remarquable dès le XVIe siècle. Un authentique joyau patrimonial dont la structure régulière a posé, il y a plus de quatre siècles, les prémices de grands parcs tels Vaux-le-Vicomte ou Versailles. Photo © François Collombet

La désolation ! Un château devenu caserne, dépôt de mendicité, hospice, hôpital puis maison de retraite jusqu’en 2014

Lors de la Révolution, le château se transforme en caserne occasionnant de nombreuses détériorations puis en dépôt de mendicité pour le département de la Seine avec des murs de clôture qui se renforceront tout au long du XIXe siècle, isolant complètement le château du village. Cette ancienne demeure de plaisance des ducs d’Orléans voit la création notamment d’ateliers, de dortoirs et de tous les services nécessaires. Le château étant très dégradé faute d’entretien, les premières actions furent consacrées à la réfection du Logis royal, où disparaissent alors les aménagements et décors du XVIIIe siècle. En 1889, le château devient officiellement une maison de retraite. Il va y accueillir jusqu’à 1800 pensionnaires. Le constat est saisissant !  : “des entresols furent créés dans les ailes occidentale et orientale du logis, des dortoirs furent installés sous les combles. Dans l’aile occidentale des Offices, d’immenses dortoirs à destination des hommes furent installés au premier étage et sous les combles, le rez-de-chaussée étant réservé au réfectoire. La chapelle accueillit un dortoir pour femmes (l’autel fut déplacé dans le Jeu de paume), puis une bibliothèque du temps de l’hospice pour personnes âgées. Selon les besoins, les espaces furent tour à tour agrandis ou réduits, entraînant la destruction et la construction de murs et d’entresols…” 

Epargné et pourtant si proche du front !

Le château, proche du front, abrita un hôpital militaire. Après le “chemin des Dames”, les Alliés dirigés par le général Mangin lancèrent la  contre-offensive dite de Villers-Cotterêts le 18 juillet 1918. Le succès de cette opération mena vers la victoire de la seconde bataille de la Marne et la fin de la guerre. Le château ne subit que de rares dommages, causés par les impacts d’obus sur la toiture. Le château fut à nouveau réquisitionné au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il servit ensuite d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris jusqu’à la fin de l’année 2014. Alors qu’il est presque insalubre, il est vidé de ses occupants et devient un grand quadrilatère désert, fermé à la ville et à la forêt qui l’entourent. Depuis la cession à l’État des parcelles propriétés de la commune de Villers-Cotterêts pour l’euro symbolique, le château appartient à l’État dans sa totalité. En 2018, le château de Villers-Cotterêts est confié par le Président de la République au CMN (Centre des Monuments Nationaux) pour y mener le projet de restauration et de création de la Cité internationale de la langue française inaugurée par Emmanuel Macron en 2023. À la fois site historique, équipement culturel et artistique, la Cité repose sur un programme entièrement dédié à la langue française et aux cultures francophones.

La restauration du château, un chantier titanesque

Serait-ce après Notre-Dame, le chantier de restauration le plus important de ces dix dernières années ; un chantier de 23 000 m2 pour l’ensemble du domaine ? 600 ouvriers, maçons, charpentiers et couvreurs vont y travailler. Un giga-chantier, piloté par l’architecte en chef des monuments historiques Olivier Weets, où il fallut réhabiliter 3600 m2 de toitures, 280 fenêtres, 3300 m2 de planchers. On parle d’un budget global de 210 millions d’€. La volonté du CMN fut de conserver la trace des différentes périodes d’occupation, mais en privilégiant les éléments remarquables de la Renaissance dans l’aile sud du Logis royal (la chapelle, l’escalier du Roi et l’escalier de la Reine) ainsi que les apports du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle qui ont valu au monument son classement.

Plan du château de Villers-Cotterêts

Parcours en francophonie

Ce parcours permanent de la Cité, interactif et ludique, offre une immersion au cœur de la langue française. Il est situé au premier étage du logis royal. Il est constitué de quinze salles réparties en trois sections, et d’une salle d’introduction sur le château et son territoire. Dès avoir gravi l’escalier du roi, on se voit immergés dans le passé fastueux du château, grâce aux décors sculptés de la Renaissance où foisonnent les emblèmes royaux.

Première section. Le français, une langue monde : L’expression écrite est mise en relief au sein
d’une « bibliothèque magique »

Deuxième section. Le français, une invention continue : Une spectaculaire projection à 360° à l’intérieur
d’un dôme présente le voyage des mots jusqu’au français. Des dispositifs interactifs permettent de tester son orthographe (deux comédiens en hologramme, 3 niveaux de difficultés, de l’humour, de la décomplexion, Ah si l’enseignement avait été celui là !). On s’intéresser aussi au genre, aux niveaux de langue ou encore aux accents pour mieux s’ouvrir aux usages du français dans le monde avec le Dictionnaire des francophones. Un dispositif sonore donne à entendre les voix, réelles ou reconstituées, de personnages historiques du IXe au XXe siècle, comme Louis le Germanique, Jeanne d’Arc, Alexandre Dumas ou Léopold Sédar Senghor, sans oublier bien sûr François 1er. Les visiteurs peuvent ainsi percevoir les différences de prononciation, d’intonation et de rythme suivant les époques.

Troisième section. Le français, une affaire d’État : le statut d’une langue, sa place dans la société et les conditions de son emploi ont toujours une dimension politique. C’est particulièrement vrai en France : royal ou républicain, l’État a placé la langue française au cœur de la construction politique de la nation. Si le français est la seule langue officielle de France, il cohabite depuis toujours avec de nombreuses langues, régionales ou extraterritoriales.

Comme dans un hall d’aéroport, un grand tableau des départs, projection monumentale présentant des destinations francophones avant de s’embarquer pour un voyage dans la “langue monde” qu’est le français. Photo © François Collombet
Ici, trouver le livre qui vous ressemble ! L’expression écrite est mise en relief au sein de cette “bibliothèque magique“. Sur ses faces extérieures abritant des activités conçues pour tous les goûts, plusieurs milliers d’ouvrages écrits en français, de tous les continents, de toutes les époques et de tous les genres (romans, poésie, essais, bande-dessinée, littérature jeunesse…) sont présentés et consultables sur place. Photo © François Collombet
Un parcours interactif et ludique avec 62 dispositifs multimédias disséminés tout au long de ses 1200 m2 de visite. Photo © François Collombet
Entrée du château de Villers-Cotterêts, château Renaissance, château mouroir mais devenu l’époustouflante cité internationale de la langue française. Photo © François Collombet