Cathédrales, Abbayes, Châteaux, Ponts…

Que reste-t-il de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron ?

Est-ce une recherche du temps perdu (Illiers-Combray n’est pas loin), plus exactement d’un ordre perdu à laquelle s’est attelé Tiron-Gardais ? Mais que reste-t-il de cet ordre bénédictin de Tiron, 900 ans après sa fondation ? Un ordre qui essaima dans tout l’ouest de l’Europe ; un abbé, ermite, cénobite qui enflamma les âmes face au puissant ordre de Cluny. Vous découvrirez des moines artisans à l’origine des premières loges maçonniques. Certains inventèrent le whisky quand d’autres aidèrent à la rédaction de la déclaration d’indépendance de l‘Ecosse, celle-là même qui servit à la rédaction de la constitution des Etats-Unis. Et que dire de ces moines gentiment tancés dans le Roman de Renart où l’on voit comment Ysengrin eut envie de se convertir, et comme il fut ordonné moine de l’abbaye de Tyron.

Quand résonne dans l’immense nef de l’abbatiale romane, le violon de Gautier Capuçon

Une chose est sûre, c’est toujours le même étonnement de voir surgir cette immense abbatiale de Thiron-Gardais avec sa nef de 64 m de long comme oubliée dans ce gros village du Perche ; un leg de l’histoire mais si lourd de conséquences avec son colossal budget de restauration ! Disparus le cloitre et les bâtiments conventuels. Seuls subsistent une grange aux dîmes (restaurée en 2006) et accolé à l’église, le collège royal et militaire dont un postulant fut le jeune Bonaparte. Aujourd’hui, si le Collège est restauré, il reste le vaste chantier de l’abbatiale menacée de ruine. Bien se rappeler que ses dimensions au départ étaient proches de celles de la cathédrale de Chartres. Des scientifiques anglais et américains s’intéressent aux vestiges d’un ordre qui traversa la Manche pour s’étendre jusqu’en Ecosse. Raison de plus à ce que l’église abbatiale, maison mère de l’ordre de Tiron puisse retrouver un peu de sa splendeur d’antan et quelle puisse de nouveau résonner du violon de Gautier Capuçon comme lors du concert qu’il donna en juin 2019. Les appuis ne manquent pas. A côté du maire* et de ses habitants, la présence d’un ami, le très médiatique Stéphane Bern est l’indéfectible apôtre de cet incroyable site. La preuve : il y habite !

*Victor Provôt maire de Thiron-Gardais préside l’association Ordre de Tiron. Elle compte aujourd’hui près d’une centaine de membres dans toute l’Europe.

Victor Provôt maire de Thiron-Gardais depuis 2008. Il fut à l’époque à 25 ans, le plus jeune maire de France. Il préside l’Association Ordre de Tiron qui compte aujourd’hui près d’une centaine de membres dans toute l’Europe (Photo FC)

L’ordre bénédictin de Tiron et ses moines artisans

Incroyable Thiron-Gardais ! Comment ce gros village du Perche de 1100 âmes est devenu à l’aube du XIIe siècle, l’un des plus influents centres monastiques du monde occidental. En deux siècles, l’ordre de Tiron connaît une apogée fulgurante. Il essaime dans le nord-ouest de la France jusqu’en Angleterre, Irlande, Ecosse, Pays de Galles, Allemagne et Norvège. On recensera jusqu’à 120 dépendances, des prieurés, des abbayes, toutes filles de Tiron. Il s’agit de communautés de moines artisans, l’une des grandes singularités de l’ordre. Ils y entrent avec leurs professions : ouvriers en fer, charpentiers, forgerons, sculpteurs, orfèvres, peintres, maçons*, vignerons, distillateurs, cultivateurs…, et une mission, l’apprentissage : former les plus jeunes. A l’origine, pas de frères convers, ils sont égaux. C’est aux classes populaires (une petite révolution !) que s’adresse le fondateur de l’ordre, Bernard d’Abbeville (ou Bernard de Tiron). Ne se définit-il pas lui-même comme le plus humble de ses moines ! Bien que bénédictin, l’ordre est plus proche de la règle celtique de saint Colomban ; une règle plus austère inspirée de la rude tradition irlandaise : le jeûne, la prière, la lecture et le travail.

*Thibaut VI comte de Blois a participé à la construction de la cathédrale de Chartres en faisant venir des moines de Tiron des ouvriers tant en bois qu’en fer, des sculpteurs et des orfèvres, des peintres, des maçons et d’autres artisans habiles en tout genre.

La Grange aux dîmes faisant face à l’abbaye et restaurée en 2006, a été construite par les moines de l’Abbaye de Tiron pour y conserver le produit de la dîme (impôt qui se montait au 1/10e de la production des paysans). Elle abrite aujourd’hui l’office de tourisme de Thiron-Gardais et un espace d’exposition (+un Escape game) Photo FC

Du Guiness book des records au whisky écossais, en passant par la constitution des Etats-Unis, quel téléscopage !

Si le XIe siècle est celui des moines noirs de Cluny, le XIIe siècle sera celui des moines blancs de Cîteaux (les cisterciens) et… des moines gris de Tiron. Mais qui aujourd’hui connaît l’ordre bénédictin de Tiron né dans les vertes prairies et les forêts profondes du Perche. Sait-on que son fondateur, Bernard d’Abbeville (1046-1117) détient un record, celui du plus long procès de canonisation de toute l’histoire de la Chrétienté. Il débute à sa mort en 1117. Il sera canonisé près de 8 siècles plus tard en 1861 (d’où sa présence dans le Guiness book des records) avec sa fête instituée le 14 avril. Deux raisons à cela : l’opposition de Bernard au pape en 1101 après son voyage à Rome et surtout, aucun miracle ne fut constaté sur sa tombe ; son culte n’ayant jamais franchi les limites du monastère de Tiron. Enfin, qui pourrait l’imaginer ? Ce sont des moines tironiens de l’abbaye d’Arbroath qui en 1320, participent à la rédaction de la déclaration d’indépendance de l’Ecosse, cette même déclaration qui aurait inspiré la constitution des États-Unis, en vigueur depuis 1789 (même si beaucoup d’historiens y voient l’esprit des Lumières et des idéaux maçonniques). Plus trivial sans doute mais ô combien symbolique fut l’invention du whisky attribuée à des moines tironiens.

Cette Aqua Vitae, Eau de vie… Eau de feu… Uisge Beath… Whisky

L’abbaye tironienne de Lindores a été fondée en 1191 sur un terrain dominant l’estuaire du fleuve Tay, près de la ville de Newburgh, à Fife en Ecosse. Les moines qui la bâtissent viennent de l’abbaye de Kelso, dans la région des Scottish Borders à la frontière avec l’Angleterre. On doit à cette abbaye de Lindores d’être le plus ancien site de production de whisky. Pour preuve, cette archive de 1495 qui relate que le roi d’Ecosse commanda à l’abbaye des bols d’Aqua Vitae (Eau de vie… Eau de feu… Uisge Beath… Whisky). Aujourd’hui, Drew Mc Kenzie, ancien architecte vient d’inaugurer sa distillerie sur le site en ruines de l’abbaye petite fille de Tiron. Tout ici semble rappeler l’église abbatiale de Thiron-Gardais, à l’origine de l’ordre : le plafond de la distillerie avec sa forme en voute jusqu’aux bouteilles d’Aqua Vitae produites qui s’inspirent des piliers de l’ancienne abbaye. Et détail symbolique, les fûts d’élevage du whisky proviennent des forêts proches de Thiron-Gardais, comme un retour aux sources.

Distillerie sur le site de l’abbaye de Lindores en Ecosse où furent trouvés des traces de charbon, d’orge, d’avoine, de blé et de poterie datant de l’époque médiévale, lorsque les moines de Tiron commencèrent à distiller leurs bols de malt, premier whisky écossais.

Bernard de Tiron, le fondateur, entre cénobitisme et érémitisme

Si tout commence il y a plus de 900 ans dans une profonde forêt du Perche, proche de la source de la Tironne, ce nouvel ordre bénédictin de Tiron naitra dans une période troublée lors d’un long conflit qui oppose son fondateur, Bernard d’Abbeville à l’ordre de Cluny. Bernard de Ponthieu prés d’Abbeville naît en 1046. A 20 ans, il entre à Saint-Cyprien de Poitiers pour y prendre l’habit. Bernard sera un abbé rigide qui ose dénoncer la toute-puissance de Cluny. Il est un des acteurs de la réforme grégorienne allant jusqu’à pourfendre les mœurs matrimoniales du clergé paroissial. S’il a été le réformateur de la grande abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (dans le Poitou) comme abbé depuis 1096, il en est chassé par Cluny. Quatre ans plus tard, le voici de nouveau abbé, abbé de Saint-Cyprien de Poitiers. Mais l’abbé Général de Cluny, décide d’y imposer son autorité. Bernard doit abdiquer sa charge et rejoint une poignée d’ermites auprès de Robert d’Arbrissel. Pourtant, sollicité par les moines, il accepte d’aller à Rome plaider auprès du Pape la cause de cette abbaye dans le conflit d’autorité qui l’oppose à Cluny. Il obtient gain de cause, mais renonce à la charge d’Abbé pour se retirer alors à Saint-Mars-la Futaie en Mayenne où il partage la vie de l’ermite Pierre. C’est là qu’il apprend l’art de tourner le bois et la ferronnerie.

1114, fondation de l’ordre de Tiron par Bernard d’Abbeville

Le parcours de Bernard le conduisit dans un triangle marqué par Poitiers (les abbayes de Saint Cyprien et de Saint Savin où il passa les années 1074-1097 et 1100-1101, les Iles Chaussey et Tiron où il construira un ermitage puis fondera l’abbaye mère de l’ordre de Tiron.

A la recherche de plus de solitude, il abandonne ces ermitages trop fréquentés des forêts de l’Ouest pour choisir le bout du monde, l’archipel désolé de Chausey. En 1109, il rompt définitivement avec l’anachorétisme. Fini donc cette vie d’ermite dont « l’apparence hirsute effraie tant les paysans de rencontre qu’on les prend pour des brigands ou des Sarrasins ». Bernard se voit offrir un lieu (un désert) dans le Perche pour son premier monastère sur des terres données par le Chapitre de Chartres et par Rotrou III Comte du Perche. Grâce au soutien de ce dernier et de son ami l’évêque Yves de Chartres, une première implantation est faite en 1109 à côté de l’étang Sainte-Anne où une chapelle du même nom marque l’emplacement. Une première messe est célébrée cette année-là, le jour de Pâques, en présence de l’évêque Yves de Chartres. L’église est alors en bois. Elle devra être abandonnée 5 ans plus tard, face à l’hostilité des moines clunisiens car étant sur le fief de cet ordre. Il faudra attendre 1114 (date de la charte de fondation) pour voir le premier monastère de l’ordre à son emplacement actuel de Thiron-Gardais.

Le récit de la fondation de Tiron par un moine contemporain

De cette épopée monastique, il nous reste une source sûre, l’histoire de la fondation de l’abbaye et de son fondateur, Bernard d’Abbeville (ou de Tiron). Il y est présenté comme le nouveau saint Antoine retiré au désert, dans ces vastes solitudes aux confins de la Normandie, du Maine et de la Bretagne. Cette Vita Bernardi est rédigée vers 1130-1140 par un moine qui a bien connu Bernard, Geoffroy le Gros, sans doute un ancien clerc du diocèse de Chartres. Y verrait-on plutôt une hagiographie rédigée à la demande de l’évêque de Chartres, Geoffroy de Lèves (1116-1149) pour servir la cause de la future (mais très incertaine) canonisation de Bernard ? Une question se pose alors, face à la toute puissance de Cluny, quels furent les soutiens de ce nouvel ordre ? Les Cisterciens, ordre qui émerge à la même époque que Tiron, surent s’appuyer sur un puissant réseau amical d’évêques. Contrairement à eux, Tiron manqua d’amis haut placés et ne bénéficia pas longtemps de la faveur épiscopale. Pourtant cette nouvelle abbaye appelée Sainte-Trinité de Tiron reçoit en 1119 le soutien du pape Calixte II qui la prend sous sa protection. Quant au pouvoir temporel, les appuis ne manquent pas. L’amitié de Rotrou du Perche vaut à Bernard la protection du roi d’Angleterre, Henri 1er Beauclerc, duc de Normandie et de son épouse, Maud d’Écosse, de son beau-frère David d’Ecosse et de sa tante Adèle de Blois. Le roi Louis VI le Gros* figure également au nombre des bienfaiteurs, tout comme Foulques d’Anjou et Guillaume IX, duc d’Aquitaine.

* Le Roi de France Louis VI le Gros mit l’abbaye et tous ses biens sous protection royale dès 1122. Son fils, le futur roi Louis VII le Jeune y fit un pèlerinage en l’an 1130. On le décrit « confit en dévotion ». Sa vocation eut été d’être moine. Il épousa successivement la bouillante Aliénor d’Aquitaine avec qui il se sépara entraînant un véritable cataclysme géopolitique (après son mariage avec Henri II Plantagenêt, roi d’angleterre) puis Constance de Castille et enfin Adèle de Champagne. Il eut un fils, Philippe Auguste au destin exceptionnel.

Intérieur de l’église abbatiale de la Sainte Trinité (XIIe-XIIIe siècles) de Thiron-Gardais. La nef mesure 64 m de long sur 12 m de large et un peu plus de 21 m sous la poutre faîtière. A l’origine, elle avait des dimensions proches de la cathédrale de Chartres (Photo FC)

Petit rappel du monachisme entre Charlemagne et la Révolution pour mieux comprendre Tiron

Pour comprendre ce long conflit qui opposa Bernard de Tiron à Cluny, il faut remonter sous Charlemagne. La vie monastique est alors sévèrement réglementée : l’empereur impose la règle de saint Benoît à tous les monastères, et son fils Louis le Pieux décide que tous les moines de l’Empire franc seront bénédictins. En contrepartie, il se réserve le droit de nommer les abbés. Ce qui constitue la première violation de la règle. Les abbés, qui touchent d’énormes bénéfices sur les richesses de leur abbaye, sont de véritables seigneurs. C’est ce que l’on appellera plus tard le système de la commende. Vient ensuite le temps des réformes. Celle de Cluny d’abord, au Xe siècle. Fondée par Guillaume d’Aquitaine, cette abbaye est placée directement sous la dépendance du pape, échap­pant ainsi aux convoitises du pouvoir temporel. On revient à l’élection de l’abbé et à la stricte observance de la règle béné­dictine. L’ordre connaît alors une expansion foudroyante. En 1150, à l’époque de la foundation de Tiron, les clunisiens comptent jusqu’à dix milles moines répartis dans près d’un millier d’abbayes.

Les cinq personnages de la réforme

Mais Cluny est devenue si riche et si fastueuse (on parle des seigneurs de Cluny) qu’elle suscite bientôt un retour aux bases mêmes de la règle bénédictine : prière, pauvreté, travail manuel, vie communautaire, humilité. Cinq personnages vont marquer ces réformes : saint Bruno, fondateur de l’ordre des Chartreux, Robert de Molesmes, puis Bernard de Clairvaux, celui des Cisterciens, Robert d’Arbrissel*, fondateur d’un ordre mixte, à Fontevraud en Anjou et Bernard d’Abbeville, l’ordre de Tiron dans le Perche. Robert d’Arbrissel fondateur de l’abbaye de Fontevraud fut l’ami de Bernard d’Abbeville.  Sa canonisation est à jamais en souffrance.

Grandeur et decadence des ordres bénédictins à l’instar de Tiron.

Au XVIe siècle, la généralisation du système pervers de la commende permet au roi de distribuer les bénéfices ecclésiastiques et de s’ assurer ainsi la fidélité de ses vassaux. Spoliées du tiers de leurs revenus au profit de l’abbé commendataire, les abbayes périclitent rapidement. Le XVIIe siècle est marqué par la prédominance de la congrégation de Saint-Maur, créée en 1621, et de son abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés. Le grand mouvement de réforme des Mauristes touche les abbayes bénédictines, les affranchissant enfin des méfaits de la commende : retour à l’ordre moral, assainissement des finances, reconstitution du patrimoine immobilier. Dans les bibliothèques reconstituées, les moines s’attellent à un véritable « travail bénédictin ». L’abbaye de Tiron est en décadence comme beaucoup d’autres au début du XVIIe siècle. Et c’est ainsi qu’en 1629, sous Louis XIII, l’abbaye est placée par l’abbé général Henri de Bourbon sous la juridiction des bénédictins de Saint-Maur qui la réforment et y établissent le fameux collège. L’ordre de Tiron est donc à cette époque directement rattaché à l’ordre de Saint-Maur. Enfin, la Révolution fait disparaître l’ordre bénédictin d’une bonne partie de l’Europe, avec le décret voté par I’Assemblée Nationale de supprimer les vœux solennels. Contrairement à d’autres, l’ordre issu de Tiron ne renaîtra pas au XIXe siècle.

Tiron malmené par les soubresauts de l’Histoire

Comme la plupart des abbayes et prieurés, Tiron eut à subir dans ses murs et dans sa chair les soubresauts de l’histoire. Quelque dates ont marqué cette abbaye mère de l’ordre de Tiron. En 1428, pendant la guerre de Cent Ans, alors qu’ils partent assiéger Orléans, le comte de Salisbury et ses 10 000 soudards, pillent l’abbaye. Il faudra près de 70 ans pour qu’elle soit en partie restaurée. C’est à cette époque qu’est élevé le choeur gothique de l’abbatiale (au frais des abbés de Tiron). Il sera détruit en 1817. Lors des Guerres de religion et très précisément le 19 juin, 3000 cavaliers allemands s’archarnent sur l’abbaye, détruisant le transept nord et au passage, massacrant quelques moines récalcitrants. 30 ans plus tard, on remet cela. Le 6 février 1591, 500 Suisses à la solde d’Henri roi de Navarre, futur Henri IV, pillent à nouveau l’abbaye. En 1629, l’abbaye est enfin placée sous la juridiction des bénédictins de Saint-Maur qui la réforment (elle perdra son titre abbatial en 1782). Ils y établissent le fameux college auquel Louis XVI donnera le titre d’Ecole Royale Militaire (Il n’y en avait que dix en France). Enfin juste avant la Révolution, un dramatique incendie accidentel se déclenche dans la nuit du 22 au 23 novembre 1785. Le feu va détruire l’aile ouest et une partie du cloître.

Jardin du Collège attenant à l’abbatiale auquel Louis XVI donna le titre d’Ecole Royale Militaire (Photo FC)

Heurs et malheurs de Tiron

La Révolution n’épargne pas le monastère de Tiron. Il est mis à sac après la suppression des congrégations religieuses en 1790. Tiron sera transformée d’abord en église paroissiale puis en Temple de la Raison et finalement rendue au culte en 1795. En réalité, le monastère est transformé en carrière de pierres. Le cloître sera dementelé pierre après pierre dénudant dangereusement les fondations de la nef médiévale. Les chenaux en plomb sont pillés entraînant le ruissellement des eaux de pluie et une lente érosion de l’édifice. Le 10 février 1817, le choeur gothique s’effondre. Il sera masqué par la construction d’un nouveau pignon. Mais sans le soutien du cloître, le mur nord commence dangereusement à verser. On entreprend de le soutenir à la fin du XIXe siècle par deux contreforts à larges empattements ; une operation qui sera renouvelée en 2008 où 4 travées de la collégiale furent contrebutées par des batteries d’étais. Mais rien ne semble enrayer la deformation des charpentes et l’apparition de fissures.

Comment sauver l’abbatiale, opération de la dernière chance ?

Sans le soutien du cloître, le mur nord commençait dangereusement à verser. Une opération de confortation fut entreprise qui consistait à reconstruire l’aile du cloître sur laquelle est adossée l’abbatiale. Ces arches seront prochainement recouvertes d’une charpente et de tuiles plates (Photo FC)

Ce monument historique depuis 1912, devenu église paroissiale de la Sainte Trinité du village de Tiron-Gardais n’a pu être sauvé que par une opération de confortation. Elle a consisté à reconstruire l’aile du cloître sur laquelle est adossée l’abbatiale (une reprise en sous œuvre de l’élévation romane fondée sur un sol instable). Cette nouvelle structure de l’aile du cloître s’est faite en matériaux contemporains s’appuyant sur des micropieux allant chercher dans le sol une assise solide. La couverture des arches du cloître est prévue en tuiles plates. Seul bémol, ce béton architectonique blanc vibré, s’il permet d’évoquer la couleur de la pierre d’origine des galeries du cloitre, est encore bien trop “flashy”. Attendons la patine ! La restauration des parties basses nord et sud de la nef et des parements extérieurs va prochainement être entreprise avec aussi la réouverture de la porte donnant sur le cloître. Elle donnera accès au parc du domaine de l’abbaye*. A l’occasion de ces travaux, des fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour une trentaine de tombes remontant au Moyen Âge. Il s’agit essentiellement de sépultures de moines inhumés le long de l’abbatiale. Ils étaient enterrés dans des coffrages et cercueils en bois voire dans des coffres construits en pierre de taille. Certaines tombes ont livré des vases funéraires servant à la combustion de l’encens que l’on peut voir dans une exposition provisoire  à la grange aux dîmes faisant face au mur nord de l’abbatiale.

*Un parc de 4 ha aux pieds de l’église abbatiale, une succession de 10 jardins d’inspiration médiévale.

Que reste-il aujourd’hui de Tiron et de son abbaye ?

Gravure représentant l’abbaye avec son cloître intérieur, XVIIe siècle

2014 marque la célébration du 900e anniversaire de la fondation de l’abbaye de Thiron avec un premier rassemblement emblématique du réseau des anciennes dépendances de l’ordre de Tiron. Symboliquement, il se tient à la pentecôte comme cela se faisait du temps de l’abbaye. Cet événement donne lieu à une collaboration commune de tous les anciens sites de l’ordre de Tiron. Elle réunit une cinquantaine de propriétaires français et britanniques, possédant fermes, châteaux et autres monuments en lien avec l’ordre. Et puis, si vous cherchez bien, il existe une rue de Tiron à Paris. Elle se situe dans le 4e arrondissement près de la rue Saint-Antoine. En 2014, une plaque commémorative est posée et inaugurée par Victor Provôt maire de Thiron-Gardais et président de l’association de l’ordre de Tiron. Elle rappelle qu’à cet emplacement se tenait l’hôtel de Tiron où les membres de l’ordre pouvaient être hébergés quand ils venaient à Paris. Tiron a aussi laissé une multitude de traces artistiques ou architecturales dans de nombreux lieux de France et d’Outre-Manche, d’où la volonté de créer un nouveau réseau européen, touristique et culturel, des abbayes et prieurés de l’ordre de Tiron.

I/Petit aperçu de l’abbatiale romane de Thiron-Gardais

Que reste-t-il de cette abbaye de la Sainte Trinité en grès noir élevée par Bernard de Tiron en 1114 ? Elle fut l’abbaye mère d’un des plus grands ordres bénédictins du Moyen Âge. Seule subsiste cette longue nef romane de 64 m de long, 12 m de large, 21 m de haut et des murs épais de 1,50 m à la base. Elle est éclairée par 18 fenêtres de facture moderne, réalisées par un maître verrier de Chartres. Une architecture typiquement cistercienne à l’image du rigorisme qui a présidé à la création de l’Ordre ! Il est vrai que le magnifique choeur gothique flamboyant élevé au XVe, s’est effondré en 1817. Il était, d’après les descriptions de l’époque, d’un décor particulièrement riche. A l’intérieur, une charpente lambrissée en forme de coque de bateau renversé. Elle porte, peintes au pochoir les armoiries des principaux bienfaiteurs de l’abbaye. Il n’en reste que 23 après qu’elles furent repeintes en 1865.

*Pour être plus précis, en pierre de grison et grès de Saint-Denis d’Authou

L’accès à l’abbatiale se fait en descendant quelques marches qui mènent au porche côtoyant l’ancienne résidence du Prieur. Au-dessus du portail, deux baies géminées en plein cintre, murées au siècle dernier, aux chapiteaux sculptés de têtes fantastiques et de visages humains (Photo FC)
Le clocher date de la transformation de l’abbaye en collège avec son dôme octogonal en ardoises qui est aujourd’hui le symbole de Thiron-Gardais, a été construit en 1691(Photo FC)

Les chefs d’œuvre de l’abbatiale : Boiseries du choeur, stalles, retable et clocher octogonal

Les stalles que l’on voit alignées le long des murs de la nef occupaient autrefois le choeur du sanctuaire. Elles sont de style gothique et datent du XVe siècle. Elles sont aujourd’hui classées Monument Historique. Les boiseries et les autres stalles en chêne celles qui occupent l’avant-chœur, récemment restaurées* ont été offertes par la Princesse Palatine, seconde épouse de Philippe, duc d’Orléans, frère de Louis XIV ; des stalles baroques (signées de l’ébéniste Mauté) qui furent occupées par les élèves du collège. Le retable du maître hôtel est une copie. L’original a été volé pendant la Révolution. Il s’agissait sans doute d’une œuvre réputée d’un grand maître (les teintes bleue et jaune pourraient évoquer l’école de Simon Vouet). Il a été remplacé par une copie que l’on doit aux moines l’Abbaye d’Arcisses. Le dôme octogonal qui est aujourd’hui le symbole de Thiron-Gardais, a été construit en 1691 grâce à un don d’un abbé Bigot, qui s’était retiré à l’abbaye. Il renferme une cloche datant de 1739, la plus grosse de celles qui existaient du temps des moines, et une autre plus petite ayant servi de timbre à une horloge sans cadran.

*Une restauration entreprise par l’Association pour la Restauration et l’Animation culturelle de l’Abbaye de Thiron-Gardais.

Ces stalles occupaient autrefois le choeur de l’abbatiale. Elles sont de style gothique et datent du XVe siècle. Elles sont aujourd’hui classées Monument Historique (Photo FC)
Les boiseries et les autres stalles en chêne qui occupent l’avant-chœur ont été récemment restaurées. Elles avaient été offertes par la Princesse Palatine, seconde épouse de Philippe, duc d’Orléans, frère de Louis XIV (Photo FC)

II/Le Collège royal et militaire de Thiron-Gardais sous la gouverne de Stéphane Bern

Ce collège royal et militaire de Thiron-Gardais (restauré par Stéphane Bern) est situé dans l’enceinte même de l’abbaye. Sa fondation date de 1629. On la doit à Henri de Bourbon-Verneuil, fils naturel d’Henri IV et à Henriette d’Entragues. Ils demandent aux moines de Tiron (dépendant alors de la congrégation de Saint-Maur) d’en prendre la charge. Les jardins ont été recréés à l’ancienne par le paysagiste Louis Benech avec des perspectives ourdies de buis et des arbres datant pour certains de l’Ancien Régime (jardins ouverts au public).

Accolé à l’abbatiale, le collège est un ensemble historique qui a été restauré par Stéphane Bern. Il est constitué du bâtiment principal du collège, des anciennes salles de classe transformées en musée, d’une serre et d’une orangerie, ainsi que d’un vivier à poissons utilisé par les moines et un jardin réputé depuis le XVIIe siècle pour son verger (Photo FC)

 

Comme postulant, le jeune Bonaparte, comme élève le futur gouverneur de la Bastille

C’est en 1776, sur décision du roi Louis XVI que le collège devient un des douze collèges royaux et militaires de France. Les bâtiments sont alors agrandis et occupent deux quadrilatères, adossés à la collégiale. Jusqu’à la Révolution, l’abbaye va accueillir une centaine de garçons par an, entre 7 et 15 ans, dont une moitié d’élèves ordinaires et une moitié d’élèves du roi, généralement boursiers. Les professeurs, moines et laïcs, enseignent aux élèves le français, l’anglais, l’allemand, les mathématiques, mais aussi le dessin, la danse, la musique, le greffage et la conduite des arbres fruitiers et l’escrime. Le but est de former des cadets de l’école royale militaire de Paris mais aussi des gentilshommes accomplis. Si en 1778, Napoléon Bonaparte est admis comme élève boursier au collège de Tiron, son père lui préfère finalement le collège de Brienne où étudie déjà son frère Joseph et qui dispense un enseignement plus scientifique. Autre personnage qui passa par le collège de Tiron n’est autre que le marquis Bernard-René Jourdan de Launay. Etant gouverneur de la Bastille, il perd la vie ce fameux 14 juillet 1789, jour de la prise de cette prison royale.

Le musée est installé dans les anciennes salles de classe. De nombreux documents et objets ont été rassemblés pour faire découvrir aux visiteurs l’Histoire de l’Abbaye de Tiron, le récit de la fondation en 1630 du collège bénédictin puis la création en 1776 par le roi Louis XVI des onze collèges royaux et militaires de France. A voir, une exceptionnelle crosse de l’Abbé de Tiron du XIIe siècle, de nombreux documents historiques, la reconstitution d’une salle de classe ou de l’uniforme des élèves officiers (Photo FC)

Ce sont sans doute les témoignages les plus émouvants de la vie quotidienne des élèves officiers qui ont laissé leur empreinte dans la pierre (Photo FC)

 

L’ancien collège restauré par Stéphane Bern

Après la Révolution, le collège et l’abbaye sont en grande partie démembrés. Les bâtiments conservés du collège restent propriété de la même famille de 1803 à 2005 et notamment du botaniste André Guillaumin. Sa fille qui hérite du collège en 1974, pour éviter la dispersion de ce patrimoine, le confie en 2005 au Conseil départemental d’Eure-et-Loir. En 2014, suite à un appel à projets, le collège devient propriété de Stéphane Bern. Il le restaure et y crée un musée ouvert au public dans les anciennes classes.

 

Ces jardins en accès libre (avec salon de thé) rappellent qu’au Collège de Tiron, on enseignait aux élèves également des notions d’arboriculture, de floriculture et d’élevage. Le jardin du collège était divisé en petits jardinets répartis entre les élèves comme récompense de leurs travaux (Photo FC)

Pour aller plus loin, 2 ouvrages de François Collombet, auteur de cet article :