L’Institut Alberto Giacometti expose Le Nez œuvre iconique de l’artiste
“La distance entre une aile du nez et l’autre est comme le Sahara, pas de limites, rien à fixer, tout échappe”
Une des œuvres les plus énigmatiques d’Alberto Giacometti
L’Institut Giacometti présente une exposition inédite (jusqu’à janvier 2024) consacrée à l’œuvre iconique de l’artiste, “Le Nez”. Sans doute est-ce l’une des œuvres les plus énigmatiques d’Alberto Giacometti. Elle réunit toutes les versions du Nez, œuvre sans cesse retravaillée et cela jusqu’en 1964, deux ans avant sa mort (en 1966) ; une œuvre en mouvement, une œuvre mobile non seulement dans sa forme, mais aussi dans son élaboration progressive ! Modelé en plâtre par l’artiste pour la première fois en 1947, le Nez a été retravaillé à maintes reprises pendant près de 17 ans. Ce travail continu et les reprises constantes montrent l’importance de cette œuvre pour Alberto Giacometti pour qui elle fut en mouvement perpétuel. Vous verrez ainsi réuni pour la première fois cinq versions du Nez, dont trois modèles différents en plâtre (1947-49-64), deux bronzes (1964) et l’ensemble des dessins et archives concernant cette sculpture emblématique.
Le Nez en cage
Giacometti a exploré des années durant les notions centrales d’échelle, de proportions et de distance, et revient à l’utilisation de la cage, qu’il travaillait à l’époque surréaliste et dont il fut exclu par André Breton en 1935 en raison de son retour à la figuration.
Des images de la mort et du mouvement
Le Nez est aussi la représentation d’œuvres qui introduisent la réflexion de Giacometti sur la mort avec les célèbres Pointe à l’œil (1932),Tête crâne (1934),Tête sur tige (1947) ; plus une sélection de bustes, en particulier de son frère Diego (1955-56) avec ce contraste très particulier que l’artiste institue entre la vision de face et de profil, dont le nez est l’expression ultime.
Ce Nez anamorphique de Giacometti
Cette exposition, au delà de la figure grotesque qui pourrait rappeler le personnage de Pinocchio*, essaie d’en élargir la compréhension dans un ancrage culturel multiple (vanité, figures carnavalesques, masques de Nouvelle-Guinée). C’est aussi le rapport complexe que Giacometti entretient avec l’anatomie, ici clairement analysé. Il révèle la place de la caricature dans son imaginaire et l’importance de l’anamorphose (quand une image se déforme avec inversion de perspective) qui apparut chez Giacometti durant sa période surréaliste. “Ce qui l’obsède c’est ce qui se produit quand un être humain est vu par un autre être humain qui a l’obsession de représenter ce qu’il voit “
(David Sylvester dans son livre “En regardant Giacometti”). Ainsi, Giacometti est-il familier des “perspectives dépravées”, sorte de projection des formes hors d’elles-mêmes pouvant engendrer la représentation d’images fausses, devenant fantômes du monde réel. L’artiste va jouer avec ces perspectives de formes doubles en faisant apparaître des anamorphoses. Voir son dessin qui explicite la vue anamorphique du nez (voir plus bas). Vu de face, il s’efface pour faire apparaître un crâne. C’est l’exemple parfait d’un jeu d’illusion et d’images doubles que Giacometti pratiquait.
*Sans doute rappelle Hugo Daniel, commissaire de l’exposition, avait-il en tête Pinocchio (en italien, œil se dit occhio) puisque, à la fin des année 1940, il lisait son histoire à son neveu Silvio. Sans oublier que les aventures nasales du roi d’Autriche des Contes de l’Engadine avait été illustrées par son père, Giovani Giacometti quand il avait 5 ans. Autre sources d’inspiration, les masques de Nouvelle-Guinée dont il visita l’exposition au musée de l’Homme en 1925.
L’écho de ce Nez iconique auprès d’artistes contemporains internationaux
Quatre créations originales se confrontent dans cette exposition et de manières extrêmement personnelle, à l’icône de Giacometti. Et quel écho ! D’abord Annette Messager (artiste plasticienne née en 1943) va réinterpréter l’œuvre emblématique du sculpteur avec un regard et un humour qui lui sont propres. Rui Chafes (né à Lisbonne en 1966) crée, de son côté autour d’une fragile version en plâtre, un gigantesque masque de fer au dard aiguisé, rappelant la charge érotique et violente du modèle de Giacometti. Hiroshi Sugimoto (architecte et photographe japonais né à Tokyo en 1948) dans un théâtre d’ombres, souligne l’aspect spectral de cette projection corporelle dans l’espace. Enfin, Ange Leccia (plasticien et cinéaste né en 1952 à Minerviu en Corse), au contraire, déjoue le jeu de l’anamorphose par un stratagème lumineux.
Une première, l’animation d’un Nez de Giacometti en hologramme
Une version du Nez, trop fragile pour être déplacée, est présentée grâce à un dispositif virtuel, introduisant une forme de médiation expérimentale grâce à un hologramme. Cette technique pour ce modèle en plâtre peint réalisé en 1947 est une première. Elle permet de voir différemment, en en reconstituant la genèse (présentation de scan 3D haute définition), l’œuvre sous des angles et dans des détails qu’il n’est pas possible de saisir lorsque la sculpture est devant soi. C’est d’ailleurs la première fois qu’un dispositif holographique Proto* est utilisé dans le cadre d’une exposition. Proto est en effet souvent utilisé pour présenter des objets trop délicats et trop précieux pour être transporté comme pour ce Nez de 1947 qui n’a pas quitté la collection de la Giacometti Stiftung, en dépôt au Kunstmuseum de Bâle.
*Partenariat avec la plateforme de création Proto (pionniers de la création de machines et de systèmes d’hologrammes interactifs) basée à Los Angeles.
Une réflexion de Giacometti sur la mort
Le Nez rappelle les démons de Jérôme Bosch, les masques de carnaval, ou les masques à bec que portaient lors des épidémies de peste, les médecins au XVIIe siècle et dont l’imagerie s’est assimilée aux évocations de la mort. Quoi de plus frappant chez Giacometti que l’image de la mort illustrée par la Tête sur tige (1947) ? Le Nez est, au premier degré, la transposition d’une vision traumatique de la mort de son compagnon de voyage Pieter van Meurs (malheureuse coïncidence de nom !). Cette figure de la mort, événement traumatique et intraitable chez Giacometti verra la répétition “convulsive” de cette tête empalée sur une tige.
Le rêve, le Sphinx et la mort de T.
T (à tord)* pour Pieter van Meurs, bibliothécaire néerlandais avec lequel il sympathisa dans le train, lors de son séjour en Italie au printemps en 1921. Le malheureux meurt brutalement dans leur auberge. Toute la nuit, Giacometti assiste à son agonie, laquelle le marque à tout jamais : “Je regardais la tête de Van M. se transformer, le nez s’accentuait de plus en plus, les joues se creusaient, la bouche ouverte presque immobile respirait à peine“. Cet épisode de mort avait déjà été transposé dans un texte fondateur de sa mythologie individuelle publié dans la revue Labyrinthe n°22-23 décembre 1946 avec ce titre : Le rêve, le Sphinx et la mort de T. , Le Nez étant une transposition de cette hantise mortifère extrêmement productrice chez Giacometti.
*T est en fait un voisin que Giacometti adolescent revoit quelques jours avant sa mort : « Je le revis, écrit-il, au fond de son lit, immobile, la peau jaune ivoire, ramassé sur lui-même et déjà étrangement loin, et je le revis peu après, à 3 heures du matin, mort, les membres d’une maigreur squelettique, projetés, écartés, abandonnés loin du corps, un énorme ventre boursouflé, la tête jetée en arrière, la bouche ouverte”. N’est-ce pas cette la transposition de cette mort dans la “Tête sur tige” de 1947 réalisée en même temps que Le Nez ?
“Face et profil” chez Giacometti
“Face et profil” est un registre essentiel d’appréhension du visage humain, activité obsessive chez lui. Il déclarait en 1962 : ” Si je vous regarde en face, j’oublie le profil. Si je regarde le profil, j’oublie la face, tout devient discontinu”. Et ce contraste très particulier dans les bustes exposés montre ce que Giacometti va instituer entre la vision de face et de profil, dont le nez est l’expression ultime.
L’institut Giacometti à Montparnasse, ce musée à taille humaine
“Je ne sais si je suis un comédien, un filon, un idiot ou un garçon très scrupuleux. Je sais qu’il faut que j’essaye de copier un nez d’après nature”.
Une fondation consacrée à l’exposition, la recherche en histoire de l’art et la pédagogie
Cet Institut Giacometti, au 5, rue Victor Schoelcher est le lieu de la Fondation Giacometti consacré à l’exposition, la recherche en histoire de l’art et la pédagogie. Créé en 2018, il est présidé par Catherine Grenier*, directrice de la Fondation Giacometti depuis 2014. Mais c’est surtout un musée à taille humaine, permettant une proximité avec les œuvres, l’Institut Giacometti est à la fois un espace d’exposition, un lieu de référence pour l’œuvre de Giacometti, un centre de recherche en histoire de l’art dédié aux pratiques artistiques modernes (1900-1970) et un lieu de découvertes accessible à tous les publics. II présente de manière permanente l’atelier mythique d’Alberto Giacometti, dont l’ensemble des éléments a été conservé par sa veuve, Annette Giacometti. Parmi ceux-ci, des œuvres en plâtre et en terre très fragiles, dont certaines n’avaient jamais été montrées au public, son mobilier et les murs peints par l’artiste.
*Conservatrice du patrimoine et historienne d’art, Catherine Grenier est directrice de la Fondation Giacometti depuis 2014 et présidente de l’Institut Giacometti. Ancienne directrice adjointe du Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), elle a réalisé plus d’une trentaine d’expositions d’artistes modernes et contemporains. Depuis son arrivée à la Fondation, elle a organisé des expositions inédites sur Giacometti dans une dizaine de pays et notamment au Tate Modern à Londres et au Guggenheim Museum de New York.
Un institut ouvert aux chercheurs, étudiants et amateurs
L’Institut propose un regard renouvelé sur l’œuvre de l’artiste et sur la période créatrice dans laquelle il s’inscrit. Le programme de recherche et d’enseignement, L’École des modernités, est ouvert aux chercheurs, étudiants et amateurs. Conférences, colloques et master-class donnent la parole à des historiens d’art et conservateurs qui présentent leurs travaux et l’actualité de la recherche.
Programme 2024
Alberto Giacometti / Ali Cherri “Envisagement”
Commissaire: Romain Perrin, attaché de conservation
(du 07 janvier au 17 mars 2024)
Cet hiver, l’Institut Giacometti présente un dialogue entre les œuvres du plasticien et vidéaste libanais Ali Cherri et celles d’Alberto Giacometti, artiste majeur du XXe siècle. Partageant avec Giacometti un intérêt particulier pour la représentation de la tête humaine, l’artiste explorera la notion d’ « envisagement », terme polysémique faisant à la fois référence à l’action d’envisager quelque chose, mais également à l’évocation du visage. Ce double sens trouve un écho particulièrement prégnant dans les sculptures et les peintures de Giacometti où la face humaine est le motif d’une recherche incessante autant qu’une réalisation en devenir. Cette exposition dévoilera plusieurs œuvres inédites d’Ali Cherri qui entreront en résonnance avec la riche sélection de peintures, sculptures et dessins d’Alberto Giacometti, issus des collections de la Fondation.