
“J’étais loin de m’attendre à cette chose superbe. Taillée dans un pur froment de lumière, dans un rayon angélique que par endroits un rose délicat vient colorer.“
Paul Claudel, extrait du Journal du 17 avril 1925, page 669 (suite en bas de cet article)
Tout dans ce chevet est chef d’œuvre !
La ville du Mans qui œuvre aujourd’hui à son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco peut être fière de détenir l’une des plus belles cathédrales de France. En descendant du tramway, avenue de Paderborn, quel incroyable spectacle ! Ce chevet qui surgit de toute sa masse et sa verticalité au-dessus de la place des Jacobins : des arcs-boutants en Y renversé, unique dans l’architecture de l’époque. Sans aucun doute y est atteint un sommet de l’art gothique. Ses treize chapelles rayonnantes, son double déambulatoire et le chœur qui culmine à 34 mètres sous voûtes, tout ici est chef d’œuvre ! Faut-il rappeler que ce splendide chevet gothique est dû à une décision de Philippe Auguste qui en 1217 autorisait l’agrandissement du chœur par le franchissement de l’enceinte romaine*. D’ailleurs, les fouilles qui ont été menées récemment tout autour du chevet de la cathédrale ont permis de retrouver dans leur état d’origine un morceau de 10-15 m de l’enceinte romaine ainsi que 60 m du rempart médiéval.
*L’intervention de Bérengère, veuve de Richard Cœur de Lion (épouse très délaissée !) fut décisive auprès de Philippe Auguste. Une fois le Maine réuni à la couronne, l’évêque Maurice avait obtenu du roi l’autorisation d’étendre l’édifice au-delà des murailles de la ville. Après trente-six ans de travaux continuels, le retour des reliques de saint Julien fut célébré au milieu d’une foule immense.

Diriez-vous qu’elle est romane ou gothique ?
Ambiguë cette cathédrale Saint-Julien formée d’une nef romane qui tranche avec un gigantesque chœur gothique. Difficile donc à classer bien qu’il existe une grande harmonie, une cohérence née de la fusion des matériaux utilisés : le roussard (type de grès), le calcaire et le verre. Mais rien ne frappe plus en franchissant les portes de Saint-julien que l’extraordinaire luminosité de l’édifice. La lumière y pénètre en demi teinte à travers l’un des plus beaux ensembles de vitraux médiévaux (à l’image de Notre-Dame de Chartres). Et que dire de cette superbe clarté venue des immenses fenêtres du chœur, du transept et de la grande rose du croisillon nord. Une cathédrale éclairée dans le chœur par cent huit baies, du jamais vu pour l’époque ! Tout, dans ce magnifique mouvement ascensionnel, sublimise cette architecture qui fait jaillir la lumière.

Toutes les périodes de l’art du verre représentées
Du vitrail de l’Ascension datant du XIe et XIIe siècle (le plus ancien vitrail conservé dans un édifice religieux), aux verrières représentant les épisodes de la vie de Jeanne d’Arc conçus par le maître verrier contemporain Echivard, toutes les périodes de l’art du verre sont ici représentées. Pour seul exemple voyez la grande rosace du transept nord. Elle a été créé pendant la guerre de Cent Ans. Composée d’une rose et de lancettes, elle développe un thème très en faveur dans l’iconographie du XVe siècle, le credo.



L’un des plus grands édifices de style roman en occident
Début du XIIe siècle, la cathédrale du Mans était un des plus grands édifices de style roman en occident. Mais à la suite d’une série d’incendies*, la nef de style encore romane fut reprise et voûtée sous les Plantagenets. Quant au chœur et aux transepts gothiques, ils sont l’affirmation par l’architecture de la puissance capétienne, après la victoire de Philippe Auguste sur les Plantagenets.
*Le dernier incendie qui devait ravager la cathédrale date 1143 (et jusqu’à présents, les autres furent maîtrisés). La charpente de la nef romane daterait de 1158 (1220 pour Notre-Dame de Paris). Côté chœur, sa construction se situe au milieu du XIIIe siècle. Quant au bras nord du transept, la charpente remonterait au XVe siècle (en pleine guerre de Cent ans). Le bois d’œuvre (plusieurs centaines de fûts de gros chênes) provient de la forêt de Mézières, en Sarthe, à une vingtaine de kilomètres du Mans.



Une cathédrale vouée à Saint Julien, premier évêque du Mans
Une cathédrale vouée à Julien, son premier évêque ! Il fut envoyé par Rome au IVe siècle évangéliser les Cénomans*, dont la capitale portera plus tard le nom du Mans. La vie de saint Julien raconte, comme toutes les autres vies de saints, de merveilleux miracles dont celui-ci : lors d’un siège, l’eau manque. Julien fait jaillir une source. Les habitants, bouleversés, se convertissent et le prince offre son palais pour en faire une église. Plusieurs saints évêques lui succèdent : Innocent, Principe, Domnole, Pavin, Bertrand, Hardouin, Mérole, avant qu’Aldric ne bâtisse, au IXe siècle, une nouvelle cathédrale, où seront transférées les reliques de saint Julien, qui garde toujours la première place dans le cœur des Manceaux.


Entre un menhir et un dolmen

Alors que les premières cathédrales sont souvent édifiées sur les débris d’un temple gallo-romain, celle du Mans témoigne de lieux de culte bien plus anciens puisqu’elle s’est placée entre un menhir et un dolmen vieux de plusieurs millénaires. Le premier est encore debout dans l’angle sud-ouest de la nef, beau menhir de grès rose haut de 4,55 mètres. Le second, appelé « pierre au lait », a disparu en 1778, condamné par un clergé exaspéré qu’il serve de support à des pratiques superstitieuses qu’il condamnait. Le lieu fut choisi tout en haut de la colline qui domine la rive gauche de la Sarthe.
Après une longue période de troubles et de saccages, dus alternativement aux Normands et aux Bretons, Le Mans est devenu une puissante et industrieuse cité qui mérite une nouvelle cathédrale. Vers 1060, l’évêque Vulgrin pose la première pierre de ce qui sera la cathédrale Saint-Julien, au même endroit et en respectant toujours menhir et dolmen. La construction s’avère plus délicate que prévu, car une partie de l’édifice s’effondre une vingtaine d’années plus tard, préservant miraculeusement le tombeau de saint Julien. Tout est à reprendre. Arnaud, qui en cette fin du XIe siècle succède à Vulgrin, bâtit les fondations ; Hoël édifie le chœur, le transept et une partie de la nef, une nef assez vaste pour accueillir les pèlerins venant nombreux se recueillir sur le tombeau de saint Julien, une nef dont on sait aussi qu’elle servait à entreposer des marchandises ou à abriter des chevaux (comme ailleurs, le chœur seul était lieu consacré). En 1093 eut lieu la dédicace, mais la cathédrale n’est pas achevée avant le milieu du XIIe- siècle. La ville, riche, est alors aux mains des puissants comtes d’Anjou, qui lui ont octroyé nombre de privilèges municipaux. C’est d’ailleurs sur l’autel de la cathédrale que Foulques d’Anjou a voué son fils Geoffroi V le Bel, né en 1113 et premier des Plantagenets, à saint Julien.
À cette époque, la cathédrale doit beaucoup à un grand évêque, Hildebert de Lavardin, brillant écrivain et bâtisseur passionné. Comme ses collègues normands de Sées et de Coutances, il a obtenu des fonds de l’un des riches émigrés siciliens, Roger de Sicile. Vers le milieu du XIIe siècle, l’édifice est doté sur le flanc sud de sa nef d’un superbe portail où des personnages de l’Ancien Testament s’allongent devant de hautes colonnes tandis qu’en tympan figure le Christ en gloire et que les Apôtres conversent dans le linteau (voir plus bas).



La beauté éclatante du chœur
Mais voici que la ville est prise, perdue, reprise et reperdue par Philippe Auguste devant son ennemi Jean sans Terre. En 1217, Philippe Auguste autorise l’évêque Maurice à entreprendre les travaux de modernisation. Tout en respectant toujours le dolmen, il fait élever le porche sud, voûté d’ogives, dont la décoration sculptée évoque celle du portail Royal de Chartres, cerné des mêmes statues-colonnes représentant les ancêtres du Christ. Ce portail est connu sous le nom de « cavalier » ou de la « pierre au lait ». Mais chanoines et évêques ont un seul modèle en tête : la cathédrale de Bourges, dont les travaux sont déjà très avancés. Pour agrandir le chœur de la leur, ils obtiennent l’autorisation de s’étendre au-delà des murs de la cité, aujourd’hui place des Jacobins.
Un nouveau style apparaît, le gothique rayonnant
L’ancien chœur, apparaissant bien trop sombre et étroit, il est démoli en 1233 et reconstruit. Terminé, il surpasse de 10 m le reste de la cathédrale. Les architectes normands qui se succèdent adoptent une élévation classique, mais de grande ampleur. C’est un nouveau style architectural qui est né. Il est importé d’Île-de-France : le gothique rayonnant. Le résultat est époustouflant ! Voyez ce double déambulatoire et ces treize chapelles rayonnantes en forme de couronne, aussi haut que celui de Notre-Dame de Paris (34 m de hauteur sous voûte). L’ensemble est éclairé par cent huit baies dont certains vitraux des XIIe et XIIIe siècles à dominantes rouges et bleues. Ils sont le produit de dons d’origines diverses : abbayes du Maine, différents corps de métiers et jusqu’aux joueurs de tric-trac.
Les 50 stalles du chœur
« Originellement (en 1575) elles étaient au nombre de 52. Il en reste 50 », précise Nicolas Gautier, architecte des Bâtiments de France. Quant aux 28 panneaux des dorsaux qui illustrent la vie du Christ, ils furent démontés en1855 et incorporées dans un meuble en menuiserie de la sacristie. Au XVIIIe siècle, l’évêque de l’époque remplaçait la clôture du chœur par une grille. Le passage d’accès au chœur fut élargi ce qui entraina la perte de deux stalles.



Des stalles refaites en 1563 et 1571. Photo de gauche, ces petits appuis de bois sculpté sont appelés « miséricordes ». Ils permettaient aux chanoines de se reposer quand le siège était relevé. Photo de droite : vous remarquerez sans doute en soulevant une petite trappe, ces crachoirs au pied de la plupart des stalles destinés aux chanoines sans doute cacochymes et crachoteux (Photos FC)



A la croisée du transept


Le transept roman transformé en cette sublime architecture de lumière
Quant au vieux transept roman, sa transformation fut offerte aux Manceaux au XVe siècle par Charles VI le Bien-Aimé*: une sublime architecture de lumière faite d’immenses fenêtres et de la grande rose du croisillon nord. Le transept nord est achevé vers 1430. La grande rosace, qui décore le pignon du transept, reçoit, à cette époque, un ensemble de vitraux dont le thème est le Jugement dernier. La tour sud est terminée en 1480. L’édification d’une nouvelle nef est envisagée, mais ne peut être mise en œuvre, faute de moyens financiers. Mais quelle totale réussite dans cette cohabitation entre la nef romaine et le chœur gothique !
*Le roi Charles IV atteint de folie dans la forêt du Mans est soigné dans la ville. En reconnaissance il offre de quoi terminer le transept nord et construire la rose. Les fleurs de lys de la galerie sont la signature du roi. Il exauçait ainsi le vœu des chanoines souhaitant rehausser le transept au niveau du chœur qui s’élevait alors à la hauteur vertigineuse de 34 m.
Dans les 13 chapelles rayonnantes du chevet, les anges et les tombeaux
Grande chapelle axiale : un incroyable concert céleste de 47 anges musiciens sur le plafond de la chapelle du chevet dédiée à la Vierge

On a dénombré 24 instruments de musique
Ces 47 anges tiennent des partitions, jouent des instruments et composent un incroyable concert céleste à la gloire de la Vierge. Ils rayonnent de couleurs chatoyantes, de lumières et d’harmonie. Ils utilisent 24 instruments dont un mystérieux. Ce sont des instruments en usage au Moyen Age et dont certains, comme l’échiquier, sont aujourd’hui disparus. D’autres sont d’origine orientale tel le rebab ou le luth. Cette vaste peinture qui couvre la voûte a été réalisée au XIVe siècle sur la commande de Gontier de Baigneux, évêque du Mans de 1367 à 1385.
Connaissez-vous ces instruments à cordes ?
Ainsi a-t-on pu répertorier certains instruments à cordes comme la mandore (ou guiterne) ; le psaltérion (ou canon) sorte de cithare ; la harpe : instrument à cordes pincées de forme triangulaire ; le rebec : instrument de petite taille creusé dans une seule pièce de bois, avec trois cordes frottées par un archet court et courbé ; la vièle (ancêtre du violon), la chifonie (déformation du mot « symphonie »), appelée également vielle à roue…
Ces anges musiciens servent de modèles à un spectacle de sons et lumières « La nuit des chimères » qui se déroule chaque été et tous les soirs à la nuit tombée.


Qui reposent à Saint-Julien ?
Dans les fonts baptismaux une pléiade de personnages historiques
L’usage d’inhumer évêques et grands personnages dans la cathédrale s’est établi au IXe siècle. On retrouve leurs tombeaux dans les fonts baptismaux. C’est là qu’on célébrait les baptêmes. On y voit les tombeaux de Charles IV d’Anjou*, comte du Maine, frère du roi René, mort en 1472, et de Guillaume du Bellay, frère du cardinal Jean du Bellay évêque du Mans mort en 1543. Lors de ses funérailles, se sont rencontrés au Mans, pour la première fois, Jacques Peltier du Mans, Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay, fondateurs de la future Pléiade. Le dernier gisant est celui du cardinal Grente, évêque du Mans (de 1918 à 1959).
*Charles IV, Comte du Maine (mort en 1472), sculpté par Francesco Laurana, Guillaume du Bellay Langey*, Vice-Roi du Piémont et cousin du poète Joachim du Bellay (mort en 1543), sculpté par Pierre Bontemps (qui collabora à l’exécution du tombeau de François 1er).

Jeanne d’arc associée aux morts de la guerre de 14
La chapelle Jeanne d’Arc installée par Mgr Grente rend en hommage aux morts de la guerre de 14. Le vitrail édifié entre 1927 et 1929 est l’œuvre du maître verrier Echivard. Il raconte la vie de Jeanne d’Arc et lit du haut vers le bas. A gauche on voit un poilu tenant le drapeau français : c’est Maxime Echivard mort au combat en 1914.
Le chevet de la cathédrale Saint-Julien, un sommet de l’art gothique
Vue de l’extérieur, la grandiose abside qui abrite ce chœur est incontestablement la plus belle partie de cette magnifique cathédrale, tant par ses dimensions que par sa décoration. Tout ici est légèreté et équilibre, jusqu’à cette futaie de contreforts et d’arcs-boutants qui l’enserrent. Il suffit pour s’en convaincre d’admirer l’extraordinaire effet optique d’étirement vers le haut, inspiré par le modèle de Coutances. Saisissant !

Cathédrale Saint-Julien, les à-côtés des bas-côtés

Le Mans, principal foyer de la sculpture en terre cuite de l’ouest de la France.
Gervais Delabarre et Charles Hoyau (tous les deux morts en1644) sont des artistes manceaux dont les œuvres sont représentés dans la cathédrale Saint-Julien. Le Mans était en effet dans la première moitié de XVIIe siècle, le principal foyer de la sculpture en terre cuite de l’ouest de la France, un héritage transmis par les artistes italiens du Val de Loire.



Et si on comparait la cathédrale du Mans à Notre Dame de Paris !
Comparaison n’est pas raison ! Et pourtant ! Les dimensions de ces deux cathédrales sont assez proches. Longueur de 134 m pour le Mans, contre 128 m à Notre-Dame. Une largeur de 52 m à Saint-Julien, contre 48 m à Paris. En surface, Notre Dame, c’est 4 800 m2 ; contre environ 5 000 m2 au Mans. Hauteur maximum sous voûte : 33 m à Paris, 34 m au Mans. Autre différence, deux beffrois en façade à Paris, un beffroi latéral au Mans. Enfin, le chœur de Saint-Julien est bien plus imposant, avec ses 13 chapelles rayonnantes.
EXTRAIT DU JOURNAL de Paul Claudel. Départ le 17 avril 1925 avec Pierre. Blois.
En auto jusqu’à Celettes. Visité le joli petit château de Lutaines entre la forêt et le Beuvron. Descendu le Beuvron jusqu’à la Loire et la Loire jusqu’à Amboise. Magnifique ouverture fluviale, la grande Route de la France vers la mer. Tours. Hôtel du Faisan. Vieilles maisons en décrépitude retenant avec peine leurs écailles sur leur chair putréfiée et vermoulue. En tortillard jusqu’au Mans. Cathédrale du Mans. J’étais loin de m’attendre à cette chose superbe. Taillée dans un pur froment de lumière, dans un rayon angélique que par endroits un rose délicat vient colorer (comme la Certosa di Pavia*). Étonnante alliance de l’arceau largement ouvert et de l’étroite ogive à lancettes d’une énergie et d’un élan extraordinaires. Au-dessus du cœur (sic) rencontre et alliance prodigieuse de toutes les courbes entrecroisées dans le plus riche des lacs géométriques. Coup de génie de cette grande ogive aiguë qui ouvre le chœur. [P. 669]
*Chartreuse de Pavie
Remerciements très chaleureux à Claude Chauvin pour ses grandes connaissances et sa patience. Elle est guide bénévole de la cathédrale Saint-Julien du Mans.

