Deux jours à bord de l’Armada de Rouen
A Rouen, cette Armada de tous les records
Quelle image symbolique ! La cohabitation de ce grand voilier-école mexicain, le mythique Cuauhtémoc, devenu le chouchou des visiteurs ; un trois-mâts barque de 90 m de long propulsé par 28 voiles, au nom du dernier empereur aztèque. Ne croirait-on pas qu’il est amarré au pied de cette immense cathédrale de Rouen, chef d’œuvre absolu de l’art gothique. Regardez sa silhouette admirable de légèreté dont la flèche démesurée de 151 m de haut se pose comme le mât d’un immense voilier de pierre au-dessus de la ville et de son port.
Chaque visiteur est accueilli
Une foule à l’abordages des principaux voiliers
Ne vous y trompez pas, c’est bien un voilier !
La messe des marins sur le pont de l’Atlantis
Face à cette cathédrale, dont la façade fut l’obsession du peintre Claude Monet alors qu’il devenait aveugle, se range comme à la parade, sur 7 km de quais (rive droite, rive gauche), 45 grands voiliers et bâtiments militaires, venus du monde entier. Quelle plus extraordinaire vitrine pour contempler ce qui se fait de mieux dans l’architecture navale des grands voiliers ! Pendant 10 jours, plus de 4 millions de visiteurs n’auront d’yeux que pour cette armada, port d’attache éphémère de 7000 marins de 30 nationalités différentes. Toute la ville et sa région se sont mobilisées pour les accueillir. Rouen est en fête, elle est descendue jusqu’à son port pour dix jours d’extravagances (des défilés de folie, des feux d’artifices, des concerts géants, des parades de marins, des rencontres gastronomiques avec les grands chefs rouennais sans compter ces trois-mâts transformés en boites de nuit ou l’Hydrograaf néerlandais, unique bateau à vapeur de l’Armada réputé pour ses deux bars à bord). L’archevêque de Rouen n’a-t-il pas déserté sa cathédrale pour venir célébrer le dimanche, la messe des marins sur le pont de l’Atlantis, un trois-mâts goélette plus que centenaire, venu d’Amsterdam et qui pour l’événement a accosté rive gauche.
Cette autre grande Armada mais bien normande
Non, ce n’est pas l’invincible grande armada espagnole défaite le 8 août 1588, mais une autre grande armada bien normande partie non loin de Rouen, de l’estuaire de la Dives, le 28 septembre 1066. Faut-il rappeler qu’au XIe siècle, Rouen s’était enrichi par le commerce de son grand port et son marché aux esclaves, irlandais ou flamands pour la plupart. La cathédrale était alors bien trop petite. C’était d’autant plus nécessaire que la cité était le siège d’un archevêché dont dépendaient les autre évêques de Normandie. Le duc Guillaume le Bâtard se chargea du financement. La consécration du nouvel édifice eu lieu en 1063, trois ans avant que le duc ne devienne à jamais Guillaume le Conquérant en conquérant l’Angleterre. Enorme entreprise de logistique pour le duc. Il fit appel à ses vassaux et ses alliés bretons, francs et flamands afin de soutenir la conquête. Il obtint même la bénédiction du Pape pour revendiquer le trône d’Angleterre. Les vastes forêts de chênes à proximité des lieux d’embarquement, permirent de construire une flotte impressionnante composée d’un millier de navires, capables de transporter une armée estimée à 8000 hommes et 5000 chevaux de l’autre côté de la mer. Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, devenu roi d’Angleterre est mort ici même à Rouen en 1087. L’un des deux ponts qui surplombe aujourd’hui l’Armada fut construit en son honneur.
Sur près de 70 mètres de long, c’est le récit brodé de la conquête de l’Angleterre en l’an 1066 par Guillaume, duc de Normandie. Ici, la traversée de la Manche (Photo DR)
Quand la nuit tombe sur l’Armada
C’est l’heure des cocktail, dîners à bord et derniers verres en attendant le feu d’artifice.
Une nuit à bord de l’Atlantis, ce centenaire qui a eu plusieurs vie
L’Armada au petit matin
L’Armada, c’est un tour du monde des grands voiliers
Entre le pont Guillaume le conquérant et le pont Flaubert qui s’est levé pour laisser passer les vaisseaux de l’Armada, 7 km de quais pour découvrir le monde très clos de ces grands voiliers. Mais pendant ces 10 jours d’Armada, partout, l’accès à bord est libre. Seule condition, des heures de queues sous un soleil quasi d’été. Au compteur de la popularité (et loin devant), le préféré des visiteurs est sans conteste, le grandiose trois-mâts mexicain Cuauhtémoc. Son port d’attache, Acapulco. Sa vitesse peut atteindre 18 nœuds. Du canal de Panama, il mit 18 jours pour rejoindre l’estuaire de la Seine.
Honneur au plus emblématique trois-mâts barque de l’Armada, le Cuauhtémoc. Il a le nom du dernier empereur aztèque
D’ailleurs on le considère comme “l’empereur mexicain des mers”. Son image fait tous les 4 ans, le tour du monde au dernier jour de l’Armada : le Cuauhtémoc, franchissant le pont Flaubert, avec ses cadets acrobatiquement perchés (avec des baudriers de sécurité) sur les haubans et les vergues de ce prestigieux voilier-école. Un hasta luego émouvant en voyant quitter cet élégant trois-mâts barque de 90 m de long et aux 2200 m² de voilures. Il regroupe à son bord, 268 marins (dont 24 femmes), la plupart des cadets (ils sont 112). Il est parti du Mexique, depuis son port d’attache d’Acapulco (sur la côte pacifique) pour une campagne de 247 jours. C’est un grand habitué de l’Armada de Rouen. Jamais, depuis 1989, il n’a manqué ce rendez-vous. Sa mission, porter haut et fort l’image du Mexique et former la future élite de la marine nationale mexicaine et cela, huit mois par ans en parcourant les mers et les océans. Rouen n’est qu’une étape. Demain il sera à Londres puis en Espagne, au Portugal, en Turquie* avant d’accomplir un grand tour de l’Amérique du Sud. Le Cuauhtémoc est sorti des chantiers de Bilbao en Espagne en 1982. Entièrement fait de bois, il dispose d’une équipe de huit menuisiers à bord qui veille à son entretien. A l’origine placée par les charpentiers du Cuauhtémoc, une Vierge aurait été incrustée dans la structure en bois du voilier mais jusqu’à ce jour, jamais découverte !
*Pour participer aux célébrations du centenaire de la fondation de la République de Turquie.
Le capitaine José Diaz Castillo pacha du Cuauhtémoc
Le pacha à bord est un marin exceptionnel, le capitaine José Diaz Castillo. Quel coïncidence ! Il a pour presque homonyme Bernal Díaz del Castillo (vers 1492 et mort le 3 février 1584), un conquistador qui participa en tant que soldat à la conquête de l’Empire aztèque sous Hernan Cortés. Il écrivit à la fin de sa vie un récit des événements dont la mort du dernier empereur aztèque, Cuauhtémoc (1496-1525), un nom qui signifie “aigle qui tombe sur sa proie”. Cuauhtémoc fut capturé par Hernan Cortés et martyrisé pour avouer où était l’or et le fabuleux trésor des aztèques. Le 28 février 1525, Cortés ordonnait qu’il soit pendu. “Et c’est cette mort qu’il lui a donnée très injustement, et cela semblait mauvais à tout le monde” devait écrire le chroniqueur Díaz del Castillo. Pour les mexicains, Cuauhtémoc “cet aigle qui tombe sur sa proie” est symbole de liberté et d’indépendance. Sa statue ne trône-t-elle pas sur la Reforma à Mexico (à l’intersection de l’Avenida de los Insurgentes et Paseo de la Reforma). Sur le voilier, vous distinguerez sa représentation un peu partout et notamment à la proue du bâtiment.
Quand les normands s’emparent du trésor des aztèques
Il s’appelle Jean Fleury (dit Florin). Il est normand. C’est un grand navigateur et un grand expert de la baie de Seine. C’est aussi un corsaire pour le comte de Dieppe et pour le roi. Il est né à la fin du XVe siècle non loin de Rouen dans une boucle de la Seine, à Vatteville-la-Rue, alors important port maritime (pêche vers Terre Neuve et commerce des épices avec l’Afrique). En 1522, à la recherche d’une prise, il écume l’Atlantique Est (entre les Canaries et les Açores), à bord de sa “Salamandre” (l’emblème que s’était choisi le roi de France, François 1er), accompagné d’une redoutable petite flottille de galions et de nefs aux pavillons frappés de la croix blanche des marchands de la cité normande. Il tombe alors (sans doute pas par hasard) sur les 3 caravelles du conquistador Cortès (1485-1547) parties de Vera Cruz (Mexique) et voguant vers le port de Cadix (Espagne). La prise pour Fleury est fabuleuse. C’est tout simplement le trésor de Cuauhtémoc dernier empereur aztèque. Ce qu’il découvre dans les cales est inimaginable : trois coffres de lingots d’or, 500 livres de poussière d’or, 680 livres de perles, des coffres de lingots d’argent et plusieurs caisses d’émeraudes, dont une énorme pierre de la taille de la paume d’une main. En bonus, il récupère une fabuleuse collection d’art et d’objets religieux pillés aux aztèques par les Conquistadores ; tout ce qui devait alimenter les caisses du très puissant Charles Quint, empereur germanique alors ennemi du roi de France. On peut imaginer le retour du normand. Alors que les 3 navires de Jean Fleury chargés à raz bord s’engagent dans les eaux froides de la Manche (on est en décembre), en longeant la presqu’île du Cotentin, l’une des caravelle heurte un banc rocheux et coule, entrainant la perte d’un trésor inestimable. Malgré cela, à leur arrivée, l’accueil est à la hauteur de leur exploit. Afin de remercier Dieu, Jean Fleury offrira aux deux églises de Villequier et de Vatteville de magnifiques vitraux comme ex-voto (dont l’un à Villequier est encore visible). Mais cette bonne fortune a une fin tragique. Alors qu’ils naviguent en 1527 au large du Cap Saint-Vincent (au Portugal, la pointe la plus au sud-ouest de l’Europe, dans la région de l’Algarve), Jean Fleury et ses hommes sont capturés sur ordre de Charles Quint. Malgré l’offre d’une rançon de 30 000 ducats, le normand est exécuté le 13 octobre de cette année-là près de Tolède et ses marins condamnés aux galères.
(En parler avec Michel Bussi, parrain culturel de l’Armada, auteur rouennais (de Darnétal) à succès dont les livres se sont vendus à plus de 10 millions d’exemplaires et traduits dans 37 pays).
Sur le Cuauhtémoc, mon guide, le cadet Raul Borroel
Rien n’a été simple. Il a fallu l’autorisation de l’ambassade du Mexique. Contacter l’officier de liaison qui m’a introduit auprès de l’équipage et du cadet Raul Borroel. Donc je l’ai suivi, il m’a ouvert les portes jusqu’au salon de l’amirauté où m’attendais, le capitaine José Diaz Castillo pour un entretien.
Pause méridienne devant le Dar Mlodziezy, cambuse des grands chefs normands
C’est une véritable démonstration du savoir-faire des chefs de la gastronomie normande par trois chefs rouennais. Ils ont apporté des échantillons de leurs différentes spécialités pour les faire découvrir aux gourmands (dégustation gratuite).
Tous ces autres grands voiliers au fil de la Seine
Reçu à bord du Capitan Miranda par son capitaine, Luis Cardozo
Une Armada de Rouen sans voiliers Sud-Américains ne serait pas une Armada. Retour à Rouen du Capitan Miranda plus vu à Rouen depuis 2008, le voilier uruguayen, reconnaissable à sa voile “céleste”. Le Capitan Miranda est le navire-école de la Marine nationale de l’Uruguay depuis 1978. Construite en 1930 à Cadix (Espagne), cette goélette à trois-mâts a d’abord servi de cargo entre l’Europe et l’Amérique du Sud. En 1960, la marine uruguayenne rachète le voilier pour en faire un navire de recherche océanographique. II est rebaptisé du nom de Capitan Miranda, officier de la Marine uruguayenne. À cette époque, le voilier n’a que deux mâts. Dans les années 70, destiné à la démolition, il est réhabilité. Les deux mâts sont remplacés par trois mâts en duralium, et de nouvelles voiles en dacron forment le gréement. Depuis maintenant 45 ans, le Capitan Miranda s’occupe de la formation de jeunes officiers de la Marine uruguayenne.
Sur le Dar Mtodziezy polonais, l’Ukraine n’est pas oublié !
La Pologne sur son majestueux voilier-école accueille l’Ukraine. Pas de politique mais une partie des cadets à bord du navire sont d’origine ukrainienne. De plus, les autorités ont laissé venir à bord 200 exilés d’Ukraine réfugiés à Rouen et dans sa région pour des chants, des danses. Dramatique nostalgie d’un pays en guerre !
Le Bima Suci indonésien, ce dernier grand voilier à rejoindre l’Armada. Quel spectacle !
Alors que le marché de l’armement semble se développer entre la France et l’Indonésie (sous-marins Scorpène, avions Rafale, etc. ), le Bima Suci se devait pour la première fois d’apparaître à Rouen lors de cette Armada. Impressionnant ce Bima Suci ! C’est tout simplement le plus grand navire d’entraînement à la voile construit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et sans doute parmi les plus grands voiliers en activité dans le monde. Il a été construit par un chantier naval espagnol (Construcciones Navales Paulino Freire) à Vigo et livré à la marine indonésienne en 2017. Il est doté des techniques de navigation les plus avancées. Il a à bord, les moyens de dessalement de l’eau de mer.