Terre d’Argence, la Provence et un peu plus… !
Faudrait-il encore la situer, cette étonnante Terre d’Argence. Imaginez donc un triangle ; un triangle de rêve formé entre Avignon, Nîmes et Arles. Son environnement, un paysage de costières et de garrigues avec au bout du bout, la Camargue, paradis des chevaux, des taureaux, des oiseaux, du ciel et de l’eau. Ce triangle a un centre, Beaucaire sur le Rhône, ville d’Art et d’Histoire, le pendant de Tarascon sur l’autre rive. Voici donc un petit index pour savourer cette Terre d’Argence. Mais d’ailleurs, pourquoi “Argence”, un nom qui s’inscrit dans le reflet argenté des peupliers bordant le Rhône et des oliviers si abondants dans la région.
Beaucaire, capitale de la Terre d’Argence
Cette Terre d’Argence où effleure tant de vestiges gallo-romains, serait-elle le concentré de tout ce qu’on aime dans le sud méditerranéen ? Faites donc une pause à Beaucaire, la ville parées de dizaines d’hôtels particulier, petits chefs d’œuvre s’égrenant au long des ruelles montant vers le château forteresse. Puis, avant d’entreprendre l’incroyable visite de cette abbaye troglodytique de Saint-Roman, unique en France et son panorama spectaculaire sur la basse vallée du Rhône, les Alpilles et la Camargue, prenez votre temps. Asseyez-vous à l’ombre des platanes centenaires de la place de la République (au centre de Beaucaire). Un café, un déjeuner à l’Epicerie (restaurant) ? Il y a tant de chose à voir, tant de choses à boire, à sentir, à humer…à aimer ! Mais patientez car le programme est chargé !
D’abord, parlons dégustation ! La terre d’Agence accueille en grande partie l’un des plus discrets et des plus beaux vignobles des Côtes du Rhône méridionales : les Costières de Nîmes très proches de Châteauneuf-du-Pape (Avignon) avec des vins pour la plupart en bio voire en biodynamie comme chez François et Anne Collard, au Château Mourgues du Grès. Et pourquoi ne pas trinquer avec des vins tel qu’on pouvait les apprécier à l’époque gallo-romaine (le Mas des Tourelles). C’est aux portes de Beaucaire, dans un lieu unique au monde où a été reconstitué un vignoble et une cave romaine en état de fonctionnement (Voir plus bas).
Beaucaire, le charme discret d’une ville d’art et de culture
Cette ville de taille moyenne (16.000 habitants) avec ses places ombragées, ses ruelles étroites et ses superbes façades sous la garde tutélaire de sa forteresse a vu sa population basculer vers une immigration sudaméricaine (Colombie, Pérou, Venezuela…). Occupant le centre-ville, elle redonne ce ton hispanique que Beaucaire connaissait autrefois.
Le Rhône qui fit la fortune de Beaucaire
Oui à Beaucaire, il y a le Canal du Rhône à Sète qui traverse la ville et où il fait bon flâner le long des quais mais c’est surtout le Rhône qui ici prend toute son ampleur. A Beaucaire, il n’a plus que 63 km à parcourir avant de verser dans la Méditerranée. Il a alors reçu tous ses affluents et mesure entre Beaucaire et Tarascon près d’un demi-kilomètre de large. À Arles, commence le delta. Le Rhône se divise alors en deux bras qui enserrent la Camargue, plaine deltaïque de 750 km²
Cette foire qui plaçait chaque année Beaucaire au centre du monde
Impossible de comprendre Beaucaire, son paysage urbain, son architecture, sa mentalité sans avoir en tête, l’importance de cette foire qui s’y déroulait. C’était aux côtés de Francfort et de Leipzig, l’une des plus importante d’Europe. La foire de la Sainte Marie-Madeleine, événement annuel débutait invariablement chaque 21 juillet pour une durée moyenne d’une semaine. Elle acquit une renommée internationale et une dimension cosmopolite durant le XVIIe siècle pour connaît son apogée au siècle des Lumières (au XVIIIe siècle). En1793, Napoléon Bonaparte s’y rendit, épisode connu par un pamphlet intitulé : Le souper de Beaucaire.
Jusqu’à 100.000 visiteurs par jour
Rendez-vous compte, s’y pressaient chaque jour jusqu’à 100.000 visiteurs. On y construisait alors un pont provisoire (emporté par les crues) qui servait de port et reliait les 2 rives du Rhône : « le pont de bateaux qui liait Tarascon à Beaucaire, pont mobile, dansant, frémissant sans solidité, qu’on ne pouvait passer qu’avec des précautions infinies » écrivait un contemporain. Un autre ajoutait : « il nous vient des marchands de l’autre hémisphère et il ne nous manque certainement plus que d’y voir quelques habitants de la lune ». Pour Alexandre Dumas Père dans : Impressions de voyages (1831), Beaucaire vit toute l’année de sa foire précisant que « La plupart des maisons, qui sont des magasins fermés 358 jours par an, s’ouvrent à l’approche du 22 juillet, époque où les quais déserts de la ville réveillée se changent en bazars. Alors les routes de Nîmes, de Paris et d’Orgon s’encombrent de voitures, les canaux de Toulouse, les ports de Sète et d’Aigues-Mortes se couvrent de bateaux et de navires, et le Rhône, cette grande artère du Midi semble rouler des flots de vie : c’est que le commerce de l’Europe toute entière est convié à cette fête de l’industrie…
Au XVIIIe siècle, on détruit, on reconstruit, on aménage. Beaucaire est transformée
La foire se tient sur une vaste esplanade le long des berges du Rhône, dénommé le « Pré ». Beaucaire connaît alors à cette époque un vaste programme de constructions confié en partie à l’architecte avignonnais Jean Baptiste Franque (1683-1758) comme l’hôtel de ville (1679). Il fallait accueillir en effet toute l’Europe du négoce, une fois l’an, au moment de la foire. Les étalons de mesures ou cannes, pour la draperie figurent toujours sur la façade de l’immeuble. De même pour la collégiale Notre-Dame-des-Pommiers (1734) qui remplaça l’église préromane du XIe siècle devenue trop petite pour contenir tous les fidèles en temps de Foire. Beaucaire vit aussi s’élever de nombreux hôtels particuliers et de belles demeures à l’architecture surtout fonctionnelle.
Saint-Roman, abbaye troglodytique, un site spectaculaire !
Beaucaire c’est aussi la spectaculaire abbaye troglodytique de Saint-Roman. L’émergence d’un sommet arasé dans la solitude du Massif de l’Aiguille. Une incroyable acropole dont les hommes depuis plus de mille ans ont taillé dans le calcaire ces pans vertigineux. Ils en ont fait au fil du temps, un ermitage, une abbaye, une école réputée, une nécropole et une demeure seigneuriale. Fallait-il alors l’abandonner à son histoire si mystérieuse qu’on cherche encore à percer les nombreux secrets qui l’entourent ? Saint-Roman est unique en France. Il faut aller jusqu’en Cappadoce (Anatolie), jusqu’aux Météores (Thessalie), jusqu’à Vardzia en Géorgie pour ressentir cette même impression d’irréalité et de folie divine. Des ermites, des moines qui en mal d’ascèse voulurent vivre leur foi en s’immergeant dans la pierre !
Une histoire encore très obscure
L’abbaye rupestre de Saint-Roman située à environ 5 km au nord-ouest de Beaucaire occupe l’un des 3 sommets du massif calcaire de l’Aiguille. De la route, un chemin aménagé à travers la garrigue conduit à l’entrée du site occupé dès la Préhistoire par des groupes de chasseurs profitant des nombreuses grottes et fissures de ce massif calcaire. Durant l’Antiquité tardive, des ermites s’y seraient implantés. Vers IXe siècle, la communauté adopte la règle de Saint-Benoît (imposée par Louis le Pieux, fils de Charlemagne). Elle devient abbaye bénédictine. Les moines agrandissent alors les cavités naturelles pour y installer une chapelle, des cellules et des salles communes. En 1102, Saint-Roman passe sous tutelle de la puissante abbaye de Psalmodie près d’Aigues-Mortes. Elle va gagner une grande prospérité. Pour preuve, cet établissement scolaire (studium) qui y est fondé vers 1364 à la demande du pape Urbain V. L’école est consacrée aux études de grammaire, de philosophie et de droit. Les comptes de l’intendant conservés mentionnent en plus du gouverneur et des élèves, quatre professeurs, un chapelain, un sommelier, un jardinier, un cuisinier, un barbier sans oublier les domestiques et les ouvriers agricoles. Pourtant, peut-être conséquence des guerres de religions, en 1538, les moines abandonnent leur prieuré. Trente ans plus tard, le site est racheté et fortifié avec l’élévation d’un petit château. Transmis dans plusieurs familles de la région, le château de Saint-Roman finit par être démantelé dans la première moitié du XIXe siècle. Un de ses derniers propriétaires va jusqu’à vendre toutes les pierres. La colline est transformée en jardin romantique, pins maritimes et arbres de Judée y sont plantés
Terre d’Argence, terre des taureaux, des parfums et de la vigne
A Vallabrègues, des hommes et des taureaux.
Sur la route d’Avignon, à 6 km de Beaucaire, passage obligé à Vallabrègues, dans cet incroyable village que le Rhône a détourné. D’ailleurs c’est bien le seul du Gard à être situé sur la rive gauche du fleuve. Un fleuve bien capricieux qui a profité d’une violente crue pour changer de lit. Ici, Impossible de manquer le vannier. Il vous attend dans son atelier qui jouxte le musée de la Vannerie. Mais le plus surprenant est à venir ici même à Vallabrègues près de l’église et de la mairie, sous le regard blasé des enfants de l’école communale : les courses camarguaises. Faisons simple : une arène (chaque village en possède une) et de jeunes et fougueux taureaux (castrés) âgés de 3 à 4 ans. Ils vont les uns après les autres affronter une bande de jeunes casse-cous (dans le vrai sens du terme) d’une agilité frisant l’inconscience. De véritables sportifs, acrobates vêtus de blanc qu’on appelle « raseteurs ». Ici, le jeu consiste à attraper à l’aide d’un crochet des attributs qui décorent la tête de l’animal. L’entrée est à 5 € mais quel spectacle !
Les vraies “stars”de Vallabrègues
Le dernier vannier de Vallabrègues. Aujourd’hui il n’en reste plus qu’un, Daniel Benibghi. Installé au cœur du village à deux pas du musée de la vannerie. Il perpétue le savoir-faire des anciens dans son atelier et cultive toujours l’osier dans un champs situé sur un ancien bras du Rhône nommé « la brassière du Rhône » (à cause des inondations survenues en 2003). Daniel Benibghi devant son atelier avec l’une de ses dernières créations : un caddy qu’il vend autour de 100 € (Photo FC)
A Bellegarde, rencontre avec Gaël Briez, le jardinier des parfums et Jean-Marie Etienne oléiculteur à l’huile d’olive AOP
De Beaucaire en suivant le canal du Rhône à Sète sur 11 km, voici Bellegarde. Rencontre olfactive avec Gaël Briez, le jardinier/alchimistes des huiles essentiels et des parfums (il distille lui même ses plantes aromatiques). Ici, haut lieu des senteurs au milieu des champs de lavande, de lavandin, de verveine citronnée, d’immortelle, de sarriette des montagnes, de thym à thujanol, de mélisse… Culture biologique bien évidemment. Son mas, un authentique mas provençal bordant ses champs de plantes aromatiques, est une ancienne propriété du Duché d’Uzès.
Cette huile d’olive, Jean-Marie l’a dans les gènes !
Autre spécialité de la Terre d’Argence, l’huile d’olive. Demandez à rencontrer Jean-Marie Etienne. Il est oléiculteur. Dans la famille de Jean-Marie, l’huile d’olive (AOP de Nîmes) est dans les gènes. Il est la 6e génération d’oléiculteur, de père en fils à cultiver les oliviers dans le village de Bellegarde.
Terre d’Argence, terre du vin avec ses 2 appellations : Costières de Nîmes et Clairette de Bellegarde
La Terre d’Argence est le premier territoire bio du Gard avec plus de 10 % des exploitations dont la plupart sont viticoles. Mais d’abord, une spécificité très locale qui ne dépasse pas le territoire de Bellegarde : la très discrète appellation AOP Clairette de Bellegarde. Un vin blanc sec issu d’un unique cépage, la clairette déjà connu au moyen âge, et parfaitement adapté aux sols pauvres et très caillouteux de la région. Moins de 10 ha sont actuellement cultivés. Cinq producteurs assurent aujourd’hui la production.
Les Costières de Nîmes, au cœur de la Terre d’Argence
Quelle meilleure manière de découvrir les Costières de Nîmes (AOP) que de s’inviter chez François et Anne Collard, au Château de Mourgues du Grès. Le domaine à la sortie de Beaucaire est niché entre vignes, garrigue et vergers en piémont des Costières de Nîmes (sur le versant sud). Un terroir qui a l’incroyable chance de jouir à la fois des influences Rhodanienne et Méditerranéenne. Son nom, il le doit à l’ancien domaine agricole des Ursulines de Beaucaire, religieuses appelées Mourgues en Provençal. Quant au Grès, ce sont les Galets des Costières de Nîmes qui donnent aux vins tout leur caractère (les rendant très proches des Châteauneuf-du-Pape). On est, souligne François Collard « à la croisée du fleuve, entre Camargue et Provence. Les cépages rhodaniens (syrah, grenache, viognier…) se mêlent à ceux du Languedoc (carignan, cinsault) et de Provence (vermentino, mourvèdre) ».
Un vignoble en biodynamie et des vins natures sans souffre ajouté.
Chateau Mourgues du Grès, domaine d’une soixantaine d’ha, très en pointe au niveau environnemental est reconnu comme l’un des meilleurs des Costières de Nîmes. Il s’étend sur des coteaux et terrasses constitués de galets (appelés grès ou gress) et sur marnes argilocalcaires. Un sentier « nature et paysage » parcourt d’ailleurs les vignes, jalonné de bornes dédiées à la géologie, à l’histoire, à la botanique…. Ici on travaille selon les principes de la biodynamie depuis 2014 et labélisé Demeter (premier millésime 2020). Les blancs et rosés sont fermentés en cuves inox, les rouges passent en cuve béton (pour une oxygénation plus douce). A noter l’utilisation exclusive de levures indigènes et pas soufre ajouté. (Pique-nique vigneron dans les vignes, initiation à la dégustation, etc.).
Au Mas des Tourelles, des vins comme à l’époque des romains !
A la sortie de Beaucaire, route de Saint-Gilles (D38), au bord de l’antique Via Domitia, le Mas des Tourelles. C’est un mas languedocien du XVIIe siècle détenu par la famille Durand depuis 1762, une famille de vignerons qui produit des vins issus de leurs terroirs (Costières de Nîmes, de Vin de Pays d’Oc et de Vin de Pays du Gard). Ici a été mise en place une initiative originale d’archéologie expérimentale.
Le fameux goût de Romanum Vinum
Enfouis dans les vignes du domaine, une villa gallo-romaine et des ateliers de fabrication d’amphores. Des vestiges impressionnants qui ont poussé la famille à entreprendre un travail, avec des archéologues, pour approcher le goût des vins romains. A été reconstitué un vignoble et une cave romaine (unique reconstitution au monde d’une cave gallo-romaine en état de fonctionnement, avec son pressoir à levier en bois). Des recettes de vinification laissées par les auteurs latins sont à découvrir sur place ; des vins baptisés Mulsum, Turriculae, Carenum.