Un matin de brumes automnales au cœur de la Sologne blésoise, une grande allée menant vers un château presque trop sobre, trop classique pour un Val de Loire tout acquis à la Renaissance. Cette façade, à l’appareillage de pierres en bandes horizontales, et les impressionnantes toitures d’ardoises… C’est, à n’en pas douter, le château de Moulinsart, le célèbre château du capitaine Haddock des Aventures de Tintin. Dans ce « palais enchanté », comme le qualifiait la Grande Mademoiselle (fille de Gaston d’Orléans), rien n’a réellement changé. Cheverny appartient à la même famille depuis plus de six siècles. II a toujours été habité et possède encore son ameublement et ses décorations des XVIIe et XVIIIe siècles.


La présence « constante » de la marquise et du marquis
Dans les belles et grandes allées de Cheverny bordées d’arbres plus que centenaires, sans doute croiserez-vous le marquis et la marquise de Vibraye ? C’est tout le charme de ce très spectaculaire château de la Loire, l’un des seuls encore occupés par une famille (Elle s’est réservé l’aile droite du château). Un château privé et bien habité ouvert au public depuis 1922 et le premier à l’avoir été (un siècle de visite ça se fête !).

Si on se toise d’un château à l’autre…
Pour Constance et Charles-Antoine de Vibraye, Cheverny est plus qu’une petite entreprise pour un château qui accueille chaque année, près de 450 000 visiteurs. Elle emploie une quarantaine de personnes à l’année chiffre qui monte à plus de 70 en haute saison. Et que dire des périodes de confinements lorsque parc et château étaient désespérément vides ? Mais ici, comme antidote au convenu, rien ne semble bloquer l’imagination. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Si entre châteaux (de la Loire), on se toise, on se compare voire, on se jalouse, Cheverny semble sur tous les autres avoir une longueur d’avance. Normal pour une famille qui se targue d’avoir traversé plus de 6 siècles d’histoire.
Le château en ses jardins
Accès libre partout dans ces jardins extraordinaires. On en compte six ! Face à la Salle des Trophées et près du chenil, un jardin cultivé en permaculture (le jardin potager bouquetier). C’est le domaine de la marquise. Incroyable mélange d’eau, de fleurs et de légumes destinés au château (décoration), à l’Orangerie (le restaurant) et bien sûr à la famille. Autre merveille entre château et Orangerie, le jardin des apprentis, un jardin d’agrément et d’ornement, œuvre d’un chantier de réinsertion dont le nom rend hommage aux dix jeunes qui ont participé à sa création. Il occupe l’ancien emplacement d’un jardin à la française. C’est le lieu idéal pour admirer la façade nord de Cheverny. Elle vient d’être restaurée restituant l’aspect qu’avait la propriété au XVIIe siècle. Là, se trouvent des bancs, une fontaine et une pergola qui, à la belle saison, ploie sous les glycines mauves et blanches. A proximité, une nouvelle création, le Jardin sucré, initiative venue des jardiniers du château lors du deuxième confinement. Ce verger à la française compte 370 arbres et arbustes et s’étend sur un hectare. On y trouve des pommiers, cognassiers, cerisiers, kakis, figuiers et bien d’autres !







Au printemps, Cheverny s’accapare un petit air de Hollande
A l’ouest du château, réhaussé au printemps par d’immenses parterres de tulipes, le jardin de l’Amour, avec six statues du suédois Gudmar Olovson (décédé en 2017). Il est considéré comme le Rodin suédois. Tout autour, plus de 250 000 bulbes de tulipes Triumph sont plantés chaque année pour composer le célèbre ruban de tulipes. Partant à partir de la pièce d’eau, il serpente dans le parc sur 250 m de long. Une déclinaison de rouges, roses, jaunes, orangés, mauves et blancs, véritable œuvre d’art naturelle à admirer chaque printemps.
Le futur Cru du Marquis de Vibraye

Mais la grande fierté de Charles-Antoine de Vibraye est aujourd’hui sa vigne. Elle a été plantée il y a trois ans : 4500 pieds de sauvignon et de chardonnay pour produire en 2022 (si dieu le veut et si le mildiou n’est pas au rendez-vous) environ les 10 000 premières bouteilles d’un blanc en appellation Cheverny (AOP). Serait-ce le Cru du Marquis de Vibraye. Alors un vin bio Monsieur le Marquis ? Notons qu’un Salon des vins (le troisième) est prévu en avril dans l’Orangerie.
Cheverny, haut lieu de la vénerie
Comment ne pas l’évoquer à Cheverny (sujet à controverse aujourd’hui !), haut lieu de vénerie (chasse à courre) ? Donc, prenons nos précautions pour ce mode de chasse millénaire encadré par plusieurs textes de loi. Pour Cheverny, c’est d’abord un héritage. L’équipage a été fondé en 1850 ce qui en fait sans doute le plus ancien de France. Il chasse exclusivement le cerf deux fois par semaine, du 1er octobre au 31 mars. Son territoire comprend non seulement la forêt de Cheverny, mais aussi la forêt domaniale de Boulogne (vers Bracieux) qui s’étend sur plus de 4000 ha. Séparée du domaine de Chambord en 1523 sur décision de François Ier, elle est gérée par l’office national des forêts avec pour objectif principal la production de chêne de qualité. L’équipage de Cheverny prélève environ 25 cerfs par an. Ils sont attribués dans le cadre du plan de chasse départemental.
La soupe des chiens aujourd’hui en toute discrétion (!)
Pas de chasse à courre sans les chiens. Et ici, à Cheverny, ils sont de véritables vedettes. Le chenil compte une centaine de chiens anglo-français tricolores marqués sur le flanc droit du V (pour Vibraye). Ce qui était tous les jours à 11 h 30, le clou d’une visite à Cheverny, la soupe des chiens, a été suspendue. Sous l’œil des visiteurs, ils devaient attendre le signal du piqueux, l’homme qui les a élevés et qui s’occupe d’eux, avant de se précipiter, en une fraction de seconde, sur la nourriture.
*Le piqueux affecté au soin du chien, les connaît chacun par son nom.
Un château né d’une belle histoire d’amour

Cheverny, plus de 6 siècle d’histoire. Au départ, un vieux pressoir. À l’origine, ce lieu n’était occupé que par le vieux pressoir que possédaient les Hurault, famille de robe blésoise, au lieudit « Cheverny », à la limite des grandes forêts solognotes. La famille fut anoblie par Philippe VI de Valois au début du XIVe siècle. L’un de ses membres, Raoul Hurault, receveur général des finances de Louis XII puis de François 1er reçut du roi, en 1510, l’autorisation d’élever en lieu et place un château fortifié. Il échappera de peu à la purge décidée par le roi parmi ses financiers et ses créanciers sachant qu’il avait épousé la fille du plus célèbre d’entre eux, Beaune de Semblançay qui fut pendu. Cheverny va quitter un temps le giron des Hurault pour passer entre les mains de Diane de Poitiers (maîtresse d’Henri II). Elle y vivra une dizaine d’années avant de s’installer à Chaumont lorsqu’elle fut chassée de Chenonceau par Catherine de Médicis. Il fallut alors attendre le comte Philippe Hurault pour que la famille reprenne possession de Cheverny en 1565. Eminemment politique, il fut le chancelier des rois Henri III et Henri IV dont il devint l’un des plus précieux conseillers.
Drame de la jalousie, deux morts à Cheverny
Henri Hurault était au service d’Henri IV. II avait la réputation d’être vindicatif et jaloux au point d’avoir séquestré sa jeune épouse, Françoise Chabot, en son château fortifié de Cheverny. Les courtisans se méfiaient de lui et ravalaient habituellement leurs plaisanteries. Mais un beau jour, Henri IV prend la liberté de se railler du comte. Celui-ci, fou de rage, enfourche son cheval, gagne Cheverny et surprend sa femme dans les bras d’un autre. Son rival s’échappe, saute par la fenêtre et se brise une jambe. Hurault l’achève dans le jardin. II se présente alors devant sa femme : elle a le choix entre l’épée et le poison. Elle choisit le poison. Peu de temps après, Henri Hurault, seigneur de Cheverny, se remariera avec Marguerite. Elle sera la seconde maîtresse du château de Cheverny et deviendra le maître d’œuvre, l’âme du nouveau château.
C pour Cheverny, H pour Henri, M pour Marguerite, une belle histoire d’amour !
On doit la construction de Cheverny, le château actuel à son fils, Henri Hurault, lieutenant général de l’Orléanais et à sa seconde épouse Marguerite Gaillard de la Morinière. Tous les deux vont se lancer vers 1625 dans ce qui fut qualifié de « la merveille née de l’amour ». Marguerite, nouvelle comtesse de Cheverny, sut initier les plans du nouveau château. De cet ensemble si justement proportionné naquit l’expression d’un nouveau style, le classicisme, celui des demeures Louis XIII. Cheverny doit à la comtesse l’extrême raffinement de sa décoration, confiée en partie au peintre blésois Jean Mosnier. À son grand désespoir, Marguerite de Cheverny ne vit pas l’achèvement de son château. Elle mourut trop tôt, en 1635, laissant le comte continuer son œuvre. C’est à regret qu’il signa, seul, de leurs lettres enlacées, l’accomplissement de leur vie : C pour Cheverny, H pour Henri et M pour Marguerite. Mais le chantier était d’une telle ampleur que ce fut leur fille Elisabeth, marquise de Montglas qui achèvera la décoration intérieure.
Une lignée presque ininterrompue
Après Marguerite, la postérité ne retint que le portrait délicieusement sensuel, et signé Mignard, de Marie-Johanne de la Carre Saumery, qui orne la cheminée du grand salon. En 1764, et pour soixante ans, le château sortit de la famille Hurault. II fut acheté par le comte Jean-Nicolas Dufort de SaintLeu, ancien introducteur des ambassades de Louis XV, qui arriva à Cheverny ruiné par les dépenses excessives d’une vie de cour à Versailles. II sera l’historien de Cheverny. À sa première visite, c’est une totale déconvenue. Il écrit, désespéré : « Le grand château composé de cinq pavillons dont deux en dômes n’ont en totalité que cinq chambres habitables. Le reste était des couloirs dans des greniers immenses. Tout était dans un abandon déplorable et mes gens, arrivés avant moi, jetaient les hauts cris … »
La Joconde à Cheverny
Après avoir traversé la Révolution sans dommage, Cheverny fut racheté en 1825, sous Charles X par Anne Denis Hurault, marquis de Vibraye, descendant direct de la branche aînée des Hurault. Les Hurault, comme les Brissac ou les Luynes, ont su, jusqu’à nos jours, conserver et préserver la propriété du château que leur famille édifia quatre siècles auparavant. Grâce à cette extraordinaire lignée, Cheverny est tel que nous l’a laissé le Grand Siècle. Enfin, période difficile quand la Seconde Guerre mondiale touche Cheverny par ricochet. Le château est réquisitionné par l’Etat pour servir d’entrepôt au mobilier national et notamment le mobilier de Cluny de 1940 à 1944. La Joconde aurait également fait un passage à Cheverny.
Pour destin, un conte de fées !
Charles-Antoine de Vibraye aurait pu être avocat et homme d’affaires. Rien ne le destinait à être marquis de Vibraye et propriétaire de Cheverny. Son sort bascule en 1968. Le marquis Philippe de Vibraye n’a pas de descendant direct. II lui faut un héritier: il choisit le premier enfant de sa nièce, la vicomtesse Hélène; Charles-Antoine de Sigalas. Cet enfant changera de nom et de père, et deviendra, au décès du marquis, huit ans plus tard, propriétaire de Cheverny. En 1994, il épouse Constance du Closel ; aujourd’hui, ils occupent l’aile droite du château. Ce descendant direct de Jean Hurault dirige aujourd’hui d’une main de maître l’entreprise Cheverny.
L’histoire des Hurault de Cheverny se lit encore dans l’église Saint-Etienne du village


Eglise Saint-Etienne face à l’entrée du château de Cheverny et sa remarquable galerie couverte qui fait en partie le tour de l’édifice. A l’intérieur, la chapelle de la Vierge conserve, de part et d’autre d’un retable du XVIIe siècle, les épitaphes sur marbre noir* des membres de la famille Hurault, dont celle d’Henri Hurault, seigneur et constructeur du château de Cheverny.
*Plaques funéraires et tombes furent brisées et les ossements dispersés au moment de la Révolution. C’est après avoir racheté le château en 1825 qu’Anne Denis Hurault, marquis de Vibraye, fit rassembler et recoller les morceaux épars des plaques funéraires.
Entrez dans le château de Cheverny !
Regardez bien : au premier étage de la façade sur cour, douze niches ovales rythment le parfait ordonnancement des fenêtres ; elles abritent les bustes de douze empereurs romains. Qui ne serait impressionné, en pénétrant dans ce château, par le monumental escalier* d’honneur à rampe droite, bordé de balustrades ? Son décor, de style auriculaire, est l’un des rares exemples en France de cette manifestation ornementale née aux Pays-Bas dans la première moitié du XVIIe siècle. Mais la pièce la plus impressionnante est sans doute la chambre du roi, d’une exceptionnelle harmonie de tonalité bleue, or et rouge, les couleurs des Hurault. Le plafond à caissons, peint par Monier, illustre l’histoire de Persée et d’Andromède. Les murs sont tendus de tapisseries des Gobelins datant de 1640.
*Le grand escalier de marbre de Moulinsart reprend trait pour trait celui du château de Cheverny. Mais point de marche cassée (seulement une imitation). Donc pas de risque à Cheverny de se briser la cheville, comme le fit le Capitaine Haddock dans l’album, Les bijoux de la Castafiore.
Cheverny et son artiste blésois, Jean Monier

Cheverny est marqué par l’extrême richesse de sa décoration qu’elle doit au Blésois Jean Monier. Il bénéficia de l’appui de la Reine Marie de Médicis qui l’avait envoyé en Italie parfaire son talent. A son retour, il décora le Palais du Luxembourg à Paris (le Sénat aujourd’hui), revint à Blois sa ville natale, avant d’exercer magnifiquement son art à Cheverny.

La chambre du roi

Somptueuse décoration de la chambre du roi avec en particulier, le plafond à caissons (scènes de l’histoire de Persée et Andromède) et les lambris (support de l’histoire de Théagène et Chariclée). Voir également le lit à baldaquin recouvert de broderies persanes datant de 1550, dans lequel a dormi le roi Henri IV. Photo FC

La salle d’armes
Comment ne pas admirer cette splendide tapisserie des Gobelins (l’enlèvement d’Hélène) jamais restaurée ? Voir aussi la magnifique cheminée à l’instar de celle du roi, ses motifs ont été peints et restaurés à la feuille d’or comme les deux amours qui semblent tenir une des rares toiles de Jean Monier : “la mort d’Adonis”. La salle d’arme est la plus grande pièce du château de Cheverny. Elle est restée en l’état depuis le XVIIe siècle avec un coffre de voyage ayant appartenu au roi Henri IV, des collections d’armes, des armures de tournois, une chaise à porteur Louis XV, etc.


Dans la salle d’armes : « Les Dragons de Cheverny »
C’est au XVIIIe siècle qu’un important privilège a été accordé à la famille Vibraye. C’est ainsi que les Hurault de Vibraye, au service du Roi Louis XV, associèrent leur nom à un régiment de Dragons entre 1734 et 1745. Le 10 mars 1734, Paul Maximilien Hurault, Marquis de Vibraye, devient colonel propriétaire du régiment des Dragons de Vibraye dont il entretient les chevaux et les cavaliers. C’est alors un important privilège pour une famille que de voir son nom associé à un régiment de soldats servant le Roi. Dès 1734, les Hurault de Vibraye se distinguèrent lors de la bataille de San Pietro contre les Autrichiens. Pendant dix années, le régiment servit le Roi pendant les guerres de succession de Pologne et d’Autriche au cours desquelles ils se couvrirent de gloire. Mais que sait-on de ces Dragons ? Une sorte de cavaliers qui combattent à la fois à cheval avec rapidité et puissance, mais aussi à pied faisant usage de leurs armes à feu ! D’où l’analogie avec l’animal fantastique à la fois rapide et crachant le feu. Le Château de Cheverny fait découvrir ce beau régiment de cavalerie tout de rouge vêtu en exposant une fidèle reconstitution des uniformes des Dragons de Vibraye dans la Salle d’Armes, témoignage du long passé militaire de la famille. A cette occasion, le drapeau ou guidon, des Dragons de Vibraye, fidèlement reconstitué, est exposé pour la première fois au Domaine de Cheverny ! (Texte proposé par le château).

La Salle à manger du château
Salle à manger est constitués de 34 panneaux de bois, oeuvre de Jean Monier illustrant le roman espagnol de Cervantès, Don Quichotte. Le mobilier est sculpté aux armes de la famille Hurault (croix bleu azur et soleil rouge). Surmontant la table à manger de 30 convives, ce lustre hollandais du XVIIIe siècle. Voir aussi la cheminée monumentale de style néo-renaissance dorée à l’or fin et surmontée du buste du roi Henri IV.


Grand salon de Cheverny
Le grand salon, entièrement recouvert de boiseries et orné de peintures des XVIIe et XVIIIe siècle. Au dessus de la cheminée, le portrait, signé Mignard*, de Marie-Johanne de la Carre Saumery, comtesse de Cheverny. Le petit salon est décoré de tapisseries des Flandres.
*Le portraitiste d’Anne d’Autriche.

Un château bien habité


Dans le parc de Cheverny, des arbres venus des mangroves de Louisiane
Un bateau électrique, qui glisse sur un canal alimenté par le petit affluent du Conon. Vision irréelle lorsque surgissent de l’eau d’immenses cyprès chauves de Louisiane dans une explosion de couleurs ! Mais à la fin de l’automne, ils vont perdre leur parure d’où leur nom de “cyprès chauve”.

