Cathédrales, Abbayes, Châteaux, Ponts…

Façade ouest de la cathédrale de Chartres. Photo © François Collombet

Cathédrale de Chartres, le modèle absolu !

Chartres, un chef d’œuvre absolu ! Cette cathédrale fut construite rapidement (entre 1194 et 1225) et presque d’un seul jet ; exploit facilité par la réutilisation de la façade et des tours de la cathédrale romane précédente. Chef d’œuvre par l’unité de son architecture et de son décor vitré, sculpté et peint, l’expression totale et achevée d’un des aspects les plus caractéristiques de l’art du Moyen Âge. Il fallut 15 ans supplémentaires pour l’élaboration des vitraux. On compte plus de 3 500 statues. En tout, il a été recensé 9 000 personnages sculptés ou peints, dont 181 vierges.

Baie centrale du portail nord avec sur le trumeau, Anne portant dans ses bras la jeune Marie.
Au tympan, la mort, la dormition et le couronnement de la Vierge. Dans les ébrasements, dix personnages bibliques annonçant le Christ Sauveur. Photo © François Collombet

L’influence de Chartres sur développement de l’art gothique en Europe occidentale

La cathédrale de Chartres a exercé une influence considérable sur le développement de l’art gothique en France et hors de France. Les architectes des cathédrales de Reims, d’Amiens et de Beauvais n’ont fait qu’enrichir le schéma fondamental de Chartres, qui a été imité jusqu’à Cologne en Allemagne, à Westminster en Angleterre et à León en Espagne. Dans le domaine du vitrail, l’atelier de Chartres a rayonné largement jusqu’à Bourges, Sens, Le Mans, Tours, Poitiers, Rouen, Canterbury, par essaimage ou diffusion des œuvres.

Chartres au XIIe siècle, centre intellectuel du monde occidental

Chartres est au XIIe siècle, le centre intellectuel du monde occidental alors que règne encore obscurantisme et superstition. C’est le haut lieu du savoir et foyer d’une véritable renaissance humaniste inspiré par le platonisme. Commence également à se répandre la nouvelle documentation scientifique gréco-arabe venue d’Espagne.

Une cathédrale sous influence

L’Ecole de Chartres enseigne alors les 7 disciplines dans les arts libéraux (fixés par Rome au 1er siècle). Ils regroupent : 1/le trivium qui représente l’intelligence ou la science des mots (Grammaire, Rhétorique, Dialectique) et 2/le quadrivium, c’est-à-dire, la connaissance (Arithmétique, Géométrie, Astronomie, Musique).

Ici sera bâti un chef-d’oeuvre de l’art et de la science

A côté des sciences humaines, était étudiée la science sacrée, la théologie. C’est cet esprit d’étude qui va rayonner dans tout le siècle, bouleversant l’architecture des cathédrales. La cathédrale, n’est-elle pas œuvre d’art et de science, l’affirmation du pouvoir créateur de l’homme ? Nul doute que c’est cette philosophie prônée par l’Ecole de Chartres (et par d’autres écoles de cathédrales) qui s’exprime à Chartres, plaçant l’homme au centre de la création avec le pouvoir de rendre le monde intelligible, de le transformer et de l’améliorer.

Cathédrale Notre-Dame de Chartres, une cathédrale qui possède trois façades et neuf portails (autrefois entièrement peints). Photo © François Collombet
Cathédrale Notre-Dame de Chartres, une cathédrale qui possède trois façades et neuf portails (autrefois entièrement peints). Photo © François Collombet

Créer les nombres, c’est créer les choses

Hugues de Saint-Victor rédige le Didascalicon (Leyde, Bibliothek der Rijkuniversiteit)

L’Ecole de Chartres

Théologie et Platonisme au XIIe siècle, ouvrage consacré à l’Ecole de Chartres

L’Ecole de Chartres fait sienne la maxime de Macrobe (écrivain, philosophe et philologue latin du IVe siècle) qui rappelait la tradition pythagoricienne : Lorsque notre pensée, s’élevant, va de nous vers les dieux, le premier degré d’immatérialité qu’elle rencontre, ce sont les nombres. A cela, Thierry de Chartres ajoutait : créer les nombres, c’est créer les choses. Elle est dirigée par des chanceliers remarquables comme Bernard de Chartres (un puits de science, l’homme le plus lettré qui fût) et Thierry de Chartres. Elle accueille des maîtres célèbres comme Guillaume de Conches, Jean de Salisbury. C’est grâce à l’Heptateuque, Le traité des sept Arts libéraux, véritable somme de l’enseignement des disciplines libérales, rédigé par Thierry de Chartres au XIIe siècle que sont connues les matières enseignées dans cette célèbre Ecole. Thierry de Chartres considéré comme le plus important philosophe de toute l’Europe, occupa la charge de chancelier de 1142 à 1150 environ. (Source blog d’Isabelle Ohmann).

Guillaume de Conches, le libre-penseur

Guillaume de Conches serait considéré aujourd’hui comme un libre-penseur. N’a-t-il pas voulu que l’Eglise se confronte à la science ? Il connaît les œuvres des médecins grecs et arabes (Galien notamment par le biais des traductions dues au XIe siècle à Constantin l’Africain). On lui doit la diffusion des Quæstiones naturales du philosophe stoïcien Sénèque. Ses ouvrages sont en quelque sorte un abrégé de toutes les sciences que l’on enseignait au XIIe siècle. Il va jusqu’à oser émettre certaines idées sur notamment la Trinité et sur l’âme du monde ce qui le compromet auprès de l’Église. Il doit se rétracter. Il le fait dans le Dragmaticon sous la forme d’un dialogue avec le duc de Normandie, Geoffroy Plantagenêt.

Le portail royal, transition entre art roman et gothique.

Plusieurs ateliers de sculptures ont travaillé sur le chantier de la façade. Le portail central est attribué au Maître de Chartres, contemporain de la construction de la basilique de Saint-Denis, précurseur de l’art gothique (les portails sud et nord sont quant à eux gothiques puisque réalisés entre 1205 et 1225). Ce portail est réputé pour sa perfection. Certaines des plus belles sculptures de la porte centrale, notamment le tympan et les statues colonnes sont des chefs-d’oeuvres absolus. Aux voussures (arcs sculptés du porche) des 3 portails de cette façade, 3 thématiques y sont représentées : travaux des mois et signes du zodiaque, vieillards de l’apocalypse et arts libéraux représentés par des femmes, symbolisant les matières enseignées dans les écoles de Chartres accompagnées de savants de l’antiquité.

Portail royal, baie centrale : le tympan et les statues colonnes sont des chefs-d’oeuvres absolus. Photo © François Collombet

A Chartres, c’est l’humanité qui s’exprime sur le Portail royal

Exceptionnel portail royal de Chartres Son thème, le Royaume de Dieu, d’où le nom de Portail royal. Il fut construit entre 1145 et 1150, dans cette période très brève, charnière de l’art roman et art gothique. Geoffroy de Lèves, alors évêque de Chartres et ami de Suger assiste à la consécration du chœur de la basilique Saint-Denis en 1144. En découvrant cette toute nouvelle abbatiale et son portail, c’est le choc ! Il va alors faire venir les artistes de Saint-Denis pour travailler à Chartres. Voici donc cette proximité d’apparence. A noter que le Portail royal de Chartres nous est parvenu presque intact avec ses trois larges baies entièrement décorées, une première dans l’histoire de l’architecture !

Portal royal de Chartre. Les 3 tympans représentent 3 temps des mystères de la foi : Ascension, Christ en majesté au jugement dernier, l'Incarnation. Photo © François Collombet.
Le Portail royal, transition entre art roman et gothique :  baie de gauche : tympan : le Christ monte au ciel. Baie du Centre : tympan : le Christ en gloire et le Tétramorphe*. Baie de droite : Tympan : Vierge en majesté. Photo © François Collombet
Ce Portail royal de Chartres nous est parvenu presque intact avec ses trois larges baies entièrement décorées, une première dans l’histoire de l’architecture. Photo © François Collombet

L’art byzantin et l’art roman transcendés par l’art gothique

A l’art byzantin, il tire la frontalité des statues avec cette symétrie dans la disposition des sujets et cette façon de rendre impersonnel les sujets théologiques. A l’art roman, il emprunte : la stylisation des vêtements, la convention des attitudes. Les bras sont bien collés au corps, les plis des vêtements tombent droit. Les visages sont sobres mais les yeux sont immenses, comme pénétrants, et le regard semble dépasser le visible. Mais déjà, l’art gothique est omniprésent. Il transparaît derrière le sourire énigmatique des visages. Il éclate dans l’adaptation rigoureuse de la statuaire à la structure des portes.

N’est-ce pas la philosophie de l’Ecole de Chartres qui flotte sur ce portail ?

N’est-ce pas la philosophie de l’Ecole de Chartres qui flotte sur ce portail ? Dans les voussures des baies latérales, c’est l’humanité qui s’exprime prolongeant par son travail le dessein créateur de Dieu. Sur la baie de droite, au tympan, la Vierge Marie symbole de la sagesse incarnée. Autour d’elle dans les voussures, les sept arts libéraux, Grammaire, Rhétorique, Dialectique, Arithmétique, Musique, Géométrie, Astronomie disposés comme une auréole de savoir. Chacune de ces disciplines est évoquée par deux figures : l’une féminine, couverte d’un voile pour souligner son caractère sacré, est celle de la discipline elle-même et l’autre, masculine, celle d’un de ses représentants fameux (Cicéron, Pythagore, Aristote, Ptolémée, Euclide, Donat, Boèce). Nul doute, c’est la pensée humaniste qui domine ici propagée par l’Ecole de Chartres. L’homme est le maître de la nature. Il doit continuer sur cette terre l’œuvre de Dieu.

Portail royal, baie de droite : au tympan, la Vierge Marie. Autour d’elle dans les voussures, les sept arts libéraux, Grammaire, Rhétorique, Dialectique, Arithmétique, Musique, Géométrie, Astronomie disposés comme une auréole de savoir. Photo © François Collombet
Portail royal de la cathédrale de Chartres, sur la baie de droite dans ses voussures : Pythagore est à gauche, Donat le grammairien à droite.

Pythagore est reconnaissable à l’instrument de musique à cordes qu’il tient sur ses genoux. La Musique illustrée par Pythagore, inventeur du nombre d’or, est le plus souvent munie d’un instrument de musique (harpe, lyre ou cithare). A droite, Donat le grammairien. Il est né vers 320 (mort vers 380), auteur notamment d’un traité de grammaire (Ars grammatica) dont l’enseignement eut beaucoup d’influence pendant tout le Moyen Âge.

L’Ecole de Chartres, la croyance en un univers fondé sur le nombre, le poids et la mesure

Mais, derrière ces choix iconographiques, derrière un si bel ordonnancement des façades, il existe une volonté farouche d’exprimer un ordre nouveau, la croyance en un univers fondé sur le nombre, le poids et la mesure, comme l’enseignaient les anciens. Suger tout d’abord avait été fortement influencé par les écrits de Denys l’Aréopagite, celui qu’on a longtemps confondu avec un autre Denis, saint Denis, victime des persécutions ordonnées par Domitien. L’épisode est célèbre : Denis, un Grec disciple de saint Paul, décapité, prit dans ses mains sa tête qui continuait à chanter et se mit en route jusqu’à ce qu’il tombe, à l’emplacement où fut fondée l’abbaye de Saint­-Denis. D’après Denys l’Aréopagite, Dieu est lumière. Incarner cette lumière dans le chœur de Saint-Denis, cette image d’un ordre tout empreint de clarté, ce désir d’espace et de légèreté qui va aboutir à une nouvelle architecture, fut la grande œuvre de Suger.

Les sept arts libéraux à la base de la construction des cathédrales

Une autre pensée nouvelle fut véhiculée ensuite par les universités et diffusa l’idée que les sciences humaines s’affranchissaient désormais de la théologie et qu’il fallait connaître les sept arts libéraux, science des mots (grammaire, dialectique, rhétorique) et science des choses (géométrie, arithmétique, astronomie, musique). La construction des cathédrales passe par cette connaissance. Voyez à Chartres, sur le portail Royal, la représentation des concordances entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre l’enseignement des anciens et l’éducation chrétienne des sept arts libéraux. Si Pythagore et Euclide, son compas en main, apparaissent sur la façade, c’est pour mieux montrer qu’à la fin des temps, au Jugement dernier, toute connaissance se révélera.