MARCHEURS DE JUILLET, un jour viendra où, comme Péguy, vous apercevrez, crevant l’horizon de la plaine beauceronne, « l’épi le plus dur qui soit jamais monté » ; deux élégantes flèches dissemblables dominant une toiture de cuivre vert-de-grisé. Vous mettrez alors vos pas dans ceux des rois, des humbles, de pauvres, des poètes, bref, de ces millions de pèlerins venus avant vous implorer Notre-Dame de Chartres sur la colline sacrée. Ils étaient si nombreux au Moyen Âge qu’à certaines époques de l’année, la nef ne désemplissait pas, même la nuit. « Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale … Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille … » (Charles Péguy, la Tapisserie de Notre-Dame, 1913).
La cathédrale dénombre plus de 1500 statues et sculptures. De plus, elle détient l’un des plus riches patrimoines de vitraux des XIIe et XIIIe siècles. C’est à Chartres que fut inaugurée au XIIIe siècle, la série des cathédrales “classiques” avec fenêtres hautes. Son décor sculpté exceptionnel en fait l’une des références de l’art gothique.
Deux élégantes flèches dissemblables vues de partout
En 1836, un incendie détruisait l’ancienne charpente en bois. La toiture fut reconstruite en fonte de fer avec une couverture en cuivre qui demeure aujourd’hui une des particularités de la cathédrale de Chartres.
I/ L’actualité de Chartres avant sa grande histoire !
Avant d’entreprendre la fascinante histoire de cette cathédrale, remontons l’actualité jusqu’à septembre 2024, célébrant le millénaire de la crypte et l’ouverture aux visiteurs du trésor de la cathédrale. Il est maintenant mis en lumière dans la chapelle Saint-Piat entièrement restaurée.
L’une des plus grandes créations de la sculpture religieuse
Mais arrêtons nous d’abord devant un autre joyau, l’une des plus grandes créations de la sculpture religieuse de la première moitié du XVIe siècle : le tour du chœur. En 1510, le chapitre de la cathédrale, l’un des plus nombreux, des plus puissants et des plus riches de France, décidait d’édifier une clôture en pierre en remplacement de celle en bois. Cette clôture a fini d’être restaurée en 2022 après 7 ans de travaux.
Chef d’oeuvre absolu, ce tour de chœur qui vient d’être restauré
Outre la magnificence de cette architecture gothique élevée à Chartres à partir de 1194, de la sculpture ou de l’exceptionnel ensemble de quelques 150 baies fermées par des vitraux, la plupart des XIIe et XIIIe siècles, il existe un autre trésor : le tour de chœur venant enchâssé le chœur. Il comprend quarante scènes insérées dans de la dentelle de pierre. Elles illustrent la vie de la mère du Christ.
Scènes inspirées de La Légende dorée
Ces scènes sont en partie inspirées de récits apocryphe (ne faisant pas partie du canon chrétien) diffusés au XIIIe siècle par La légende dorée* de Jacques de Voragine (dominicain, archevêque de Gênes) et après 1511, par les estampes d’Albrecht Dürer. C’est l’une des rares clôtures subsistantes en France.
*La Légende dorée raconte la vie de 160 saints avec les histoires merveilleuses qui les entourent, les miracles et les martyres. Elle fut le livre du peuple et devint avec la Bible, le livre le plus copié et le plus lu des pays de la chrétienté ; un livre qui s’adresse directement aux laïcs avec simplicité et clarté. Sans doute, une amorce de la Renaissance !
Une incroyable horloge astronomique dans le tour du chœur
Cette horloge astronomique du XVe siècle d’une incroyable complexité
Cette horloge astronomique permettait de planifier les offices, de déterminer la date de Pâques et prévenir les éclipses. Elle a été intégrée au tour du chœur en 1528. Tout comme le cadran, son mécanisme, autrefois accessible par un escalier aujourd’hui disparu, est l’un des plus anciens conservés de nos jours et date probablement du XVe siècle. La complexité de l’instrument était telle que au milieu du XVIIe siècle, son entretien est peu à peu abandonné.
L’horloge est restaurée en 2010
En 1793, une partie des rouages est même fondue pour en récupérer le métal. Ils ont été reconstitués à l’occasion de la restauration de 2010. Placée face au vitrail du zodiaque, l’horloge comprend 3 cadrans : 1/Le cadran des heures est fixe. Il est divisé en deux fois douze heures. 2/Le cadran lunaire est mobile. Son fond azur est semé d’étoiles d’or et indique les phases de la lune. 3/Le cadran zodiacal est également mobile. Il tourne d’un degré chaque jour plaçant le signe du zodiaque en cours sur la grande aiguille.
Le somptueux trésor de Chartres enfin visible !
Voici une raison de plus de retourner à Chartres : voir son extraordinaire trésor ! Connu par des inventaires depuis 1322, c’est l’un des trésors les plus emblématiques de France. Il est à nouveau en lumière au cœur de la chapelle Saint-Piat qui vient d’être restaurée. 150 objets ou ensembles d’objets dédiés à la célébration et à l’ornement du service divin et d’œuvres précieuses sont magnifiquement présentés dans la chapelle haute, la salle capitulaire et les deux tourelles du XIVe siècle.
Quand la cathédrale de Chartres nous ouvre son fabuleux “Trésor” – amazed
Premier trésor, cette vierge à l’enfant
Une statue en ronde-bosse offerte à la cathédrale en hommage à Marie. Son donateur (non identifié), un chanoine, se tient agenouillé en prière. Il est reconnaissable à l’aumusse ancienne coiffure en fourrure devenue ornement qu’il tient sur le bras gauche.
Quand Chartres fête le millénaire de sa crypte
Quel plus bel hommage que cette exposition du trésor pour la célébration du millénaire de la crypte édifiée par l’évêque Fulbert (XIe siècle). Elle fut préservée sous la cathédrale gothique dont elle servi de fondations. Dans cette crypte, tout est exceptionnel, ses dimensions de plus de 220 m de long et son état de conservation.
La crypte “Fulbert” véritable église d’une dimension exceptionnelle
Cette crypte, on la doit à Fulbert remarquable professeur, grand savant et musicien qui fut nommé évêque de Chartres en 1006 par Robert le Pieux. En 1020 il décidait juste après l’incendie de la précédente et d’une bonne partie de la ville (dans la nuit du 7 au 8 septembre), la fondation d’une nouvelle cathédrale et de l’église basse (la crypte actuelle), toutes les deux consacrées à la Vierge. En 1024-1025, les travaux sont achevés. Mais la cathédrale de Fulbert au-dessus était dépourvue de transept.
La plus grande église souterraine médiévale
Tout reposait alors sur l’importance de son église basse et de son vaste déambulatoire. Sa vocation était de recevoir les milliers de pèlerins venant se recueillir devant le voile de Marie (la Sancta Camisa) offert en 876 par le roi Charles le Chauve. Pour cela, Fulbert conçut la plus grande église souterraine médiévale ce qui est jusqu’à ce jour l’une des plus grandes cryptes du monde (après celle de Saint-Pierre de Rome). Il s’agit d’un très long corridor, une structure romane avec voûte en berceau de 220 m reliant la tour nord et la tour sud.
La cathédrale gothique qui se superpose à la crypte romane
La nouvelle cathédrale gothique, édifiée entre 1194 et 1226 devait se superposer à la crypte romane. On peut voir dans la partie la plus profonde de la crypte (la crypte Saint-Lubin), des vestiges gallo-romains traces les plus anciens de la cathédrale. Aujourd’hui, le visiteur y croisera Notre-Dame de Sous-Terre, l’une des statues dédiées à la vierge parmi les plus importantes de la cathédrale.
Un puits d’une profondeur de 35 m
On y voit aussi le puits des Saints-Forts dont l’origine est très ancienne (sa base carrée rappelle les anciens puits celtiques). Il a une profondeur de 35 m. De nombreuses chapelles où peintures murales témoignent également de la richesse architecturale chartraine au XIe et XIIe siècle. Après 1194, 4 chapelles gothiques ont été ajoutées pour renforcer cette crypte et supporter la nouvelle cathédrale gothique. Dans le corridor sud, le baptistère est encore utilisé de nos jours. Un vitrail contemporain d’Udo Zembok est un véritable rideau de lumière à l’entrée de ce lieu.
II/ La grande histoire de Chartres
Par le portail royal. Aujourd’hui comme hier, Chartres accueille ses visiteurs par son admirable portail Royal. Regardez bien ce portail sorti indemne de l’incendie de 1194 ; il a été construit entre 1145 et 1155. II vous montre les débuts d’un art nouveau et figure parmi les tout premiers exemples de la statuaire gothique. Voyez ces longues statues figées dans leurs colonnes. Reconnaissez-vous David, Salomon, Moïse, la reine de Saba et les autres, dont les noms ont été érodés par le temps ? Avec ses deux hautes tours, cette façade est peut-être la plus belle réussite de l’art religieux français.
Les deux tours de la cathédrale : “flèches unique au monde“.
« Jamais au Moyen Âge l’humanité ne s’était lancée si haut depuis les pyramides d’Égypte ». De la tour du Midi dite clocher Vieux (105 m), Viollet-le-Duc la considérait comme une “flèche irréprochable”. Cette construction octogonale et aux lignes parfaitement épurées a fait dire à Péguy qu’elle était une “flèche unique au monde“. De style flamboyant, la flèche actuelle de la tour dite clocher Neuf (115 m) a été reconstruite en pierre par Jean de Beauce entre 1507 et 1513. Elle est reconnaissable à ses gâbles et ses très légers arcs-boutants.
La plus ancienne cloche dont le timbre date de 1520
Ce clocher Neuf comprend 3 volumes qui se superposent : la base du carré au premier niveau, puis un octogone sur lequel s’appuie la flèche de pierre. Ce même octogone abrite le second beffroi et quatre coches de 1845. Posée en 1517, la flèche culmine à 115 m. Elle abrite la plus ancienne cloche dont le timbre date de 1520. Grâce au matériau utilisé, de la pierre fine provenant des vallées de la Seine et de l’Oise, elle possède cette décoration sculptée et exubérante.
Portail royal, charnière de l’art roman et art gothique
Ce portail royal a été édifié vers 1145-1150 et fut épargné par l’incendie de 1194. L’extrême qualité de ses sculptures ont fasciné des générations de plasticiens et d’écrivains. Il fait notamment entrevoir l’humanisme chrétien des écoles épiscopales de Chartres.
Dans les voussures des 3 portails, 3 thématiques : 1/travaux des mois et signes du zodiaque. 2/Vieillards de l’apocalypse. 3/Arts libéraux.
La lecture du portail royal
L’ensemble est centré sur le grand tympan central où le Christ en majesté, tenant le livre de la vie, trône dans une mandorle, entouré des quatre symboles des évangélistes (l’aigle de Jean, le lion de Marc, le taureau de Luc, l’homme de Matthieu, tous ailés). Les statues-colonnes de la baie centrale représentent David, Salomon, la Reine de Saba et peut-être aussi Isaïe ou Ezéchiel. On a dit que tout y est parfait : “le positionnement de la statue qui impose sa présence, le profil démesurément allongé qui suggère la transcendance, le graphisme stylisé des plissés…”. Voyez l’émotion dégagée par les visages où une majesté solennelle le dispute à un apaisement souriant.
Dans les voussures des portails, le sacré côtoyant les arts libéraux
Dans les voussures des 3 portails, 3 thématiques : 1/travaux des mois et signes du zodiaque. 2/Vieillards de l’apocalypse. 3/Arts libéraux représentés par des femmes symbolisant les matières enseignées dans la célèbre Ecole de Chartre. Elles sont accompagnées de savant de l’antiquité dont le XIIe siècle étudiait les oeuvres (Cicéron, Pythagore, Aristote, Ptolémée, Euclide, Donat, Boèce). Sauriez-vous les reconnaître ? Ils alternent avec les disciples des arts libéraux : Trivium (Grammaire, Rhétoriques, Dialectique) et Quadrivium (Astronomie, Musique, Arithmétique, géométrie).
Portail sud : l’histoire de l’Eglise
Les statues les plus extérieures des ébrasements, ainsi que les porches, prévus dès le projet initial, appartiennent à une campagne postérieure. Avec le Christ “Enseignant” qui occupe le trumeau du portail central, ce portail sud raconte l’histoire de l’Église : porte de gauche, les martyrs et porte de droite, les confesseurs. Au chevet de la cathédrale, la chapelle Saint-Piat et sa tourelle qui viennent d’être restaurées. Y est exposé le trésor de la cathédrale.
Portail nord appelé “portail de l’Alliance”
Ce portail nord est appelé “portail de l’Alliance”, l’Alliance de Dieu avec l’Humanité. A l’instar du portail sud, il se présente sous forme d’un porche percé de 3 portail avec passages latéraux pour y circuler à l’abri. Il est orné de statues datant de 1205 à 1210 illustrant l’Ancien Testament et la vie de la Vierge. Sur la baie centrale, les voussures évoquent les épisodes de la Genèse. La baie de droite reprend le thème des travaux et des jours.
Le pavillon de l’horloge, surmonté par la tour nord (dit Neuf) de la cathédrale de style renaissance fut construit vers 1520-21 par l’architecte Jehan de Beauce pour y loger un nouveau mécanisme d’horlogerie. En plus du cadran visible du parvis, le système d’engrenage était relié par une chaîne d’arpenteur au timbre situé au sommet de la flèche nord, activant ainsi les sonneries des heures.
III/ Pénétrons dans la cathédrale
Nous voici maintenant à l’intérieur, dans le vaisseau, saisis par la splendeur architecturale de la nef baignée par les bleus et les rouges des vitraux. Comment ne pas ressentir l’extraordinaire élan d’enthousiasme qui poussa un jour des hommes à élever pareille magnificence ! Que ne sommes-nous ces pèlerins du Moyen Âge invités à emprunter le labyrinthe, ce long cheminement de 294 m partant du bas de la nef, pour découvrir les œuvres de Dieu ?
Nef et chœur sous le nombre de la perfection : le 7
Pour les hommes du Moyen Âge, le 7 était le nombre de la perfection, de l’ordre sacré et de la vie éternelle. N’est-il pas formé par la somme de 3 et de 4, trois symbolisant l’esprit, et quatre la matière, le cosmos. Logique donc pour le chœur qui comprend 4 travées et 3 pour chacun des bras du transept. Il est clôt par 7 colonnes disposées en demi-cercle et le déambulatoire s’ouvre sur 7 chapelles absidiales. Quant à la nef, elle comporte 7 travées ponctuées par autant de colonnes.
Déesse gauloise et Vierge noire
Chartres a toujours été un site vénéré. La peuplade gauloise des Carnutes honorait ici, sur cette même colline, la déesse de l’enfantement, préfiguration du culte de la Vierge, et venait boire à une source sacrée dont on peut encore voir le puits dans la crypte, devenu lieu de pèlerinage depuis que des chrétiens y furent jetés, au 1er siècle. Mais c’est le portrait de la Vierge noire, appelée Notre-Dame de Sous-Terre parce que située dans la crypte, qui fit de cette colline chartraine le premier lieu de pèlerinage marial de la Gaule. La statue, haute de 80 centimètres, taillée dans du bois de poirier, pourrait être une très ancienne copie de la déesse gauloise. Celle que l’on voit aujourd’hui n’est qu’une reproduction exécutée au XIXe siècle, l’original ayant disparu à la Révolution.
Image la plus fidèle de la Vierge de Notre-Dame de Sous-Terre
Cette statuette de la Vierge à l’Enfant passe pour avoir été l’image la plus fidèle de la Vierge de Notre-Dame de Sous-Terre détruite en 1793. Elle servit de modèle pour tailler la copie remise en place dans la crypte en 1857. Elle évoque la Vierge qui doit enfanter (Virgo paritura) vénérée à Chartres depuis les premiers siècles du christianisme. Enfin, ce panneau peint sur bois du XVII siècle, illustration naive, mais fidèle, évoque la statue de Notre-Dame de Sous-Terre telle qu’elle se présentait après la restauration de la chapelle au XVIIe siècle.
Les trois vierges vénérées de Chartres
La cathédrale recense 175 vierges sur les sculptures, bas-reliefs, vitraux et peintures, situés aussi bien à l’extérieur de l’édifice qu’au-dedans, ou encore dans la crypte. Mais trois font l’objet d’un culte plus particulier : Notre-Dame de Belle-Verrière, Notre-Dame du Pilier et Notre-Dame de Sous-Terre.
1/Notre-Dame de Belle-Verrière est connue également sous l’appellation Vierge bleue (rappelons qu’à partir du XIIe siècle, le bleu est assimilé à la vierge et au monde céleste). Ce vitrail exposé au soleil du sud est le plus célèbre de Chartres. Il a été réalisé dans le style roman en 1180 et a survécu à l’incendie de 1194. Il représente la Vierge portant l’enfant en majesté sur ses genoux. Il est emblématique de l’édifice et du fameux bleu de Chartres. Paul Claudel en 1937 est ébloui : « Je suis resté une heure en contemplation devant cette Vierge bleue, dans un halo de myosotis. Tout cela était comme un visage peu à peu qui s’anime et qui sourit, et puis qui est devenu sérieux, et de nouveau voici le divin sourire qui s’apprête à reprendre au milieu des anges agenouillés ». En 1990, les travaux de restauration du vitrail furent confiés à Michel Petit, maître-verrier chartrain. En redonnant sa clarté au vitrail, il constatait que le verre n’avait pas été altéré par le temps. La Belle Verrière, telle qu’on peut la voir aujourd’hui, offre la même impression visuelle qu’au moment de sa création.
2/Notre-Dame du Pilier se situe dans le chœur, juste après le transept au niveau du collatéral nord*. Elle fait partie de la galerie des “Rois de Notre-Dame” et a la particularité d’être une Vierge Noire. A l’image des Madones espagnoles, elle est couverte de riches vêtements. Preuve de la dévotion dont elle fait l’objet, un véritable “buisson ardent” constitué des cierges déposés par ses fidèles, est entretenu à ses pieds.
*En 1831, fut aménagée une chapelle parée de boiseries néogothiques, près de la sacristie, au nord où cette Vierge à l’Enfant fut placée sur une colonne à chapiteau, dite Notre-Dame du Pilier.
3/Notre-Dame de Sous-Terre tient son nom de son lieu de conservation : la crypte. Alors qu’elle était peut-être l’une des plus anciennes vierges noires en France, l’originale de la Vierge est détruite en 1793. Une copie a pu être réalisée en croisant les sources et en s’appuyant sur une gravure (voir plus haut) conservée par les sœurs Carmélites de Chartres, ainsi que sur une copie réalisée au XVIe siècle.
Destructions et incendies
Au IVe siècle, Chartres est élevé au rang d’évêché. La première basilique, érigée sur les bases d’un temple gallo-romain, est brûlée au VIIIe siècle par le duc d’Aquitaine. Reconstruite, elle est la cible des raids vikings du IXe siècle. Il faut attendre l’évêque Gislebert pour qu’elle atteigne une certaine ampleur avec l’aménagement de la crypte soutenant le chevet du nouveau sanctuaire. En septembre 1020, tout brûle de nouveau.
Un évêque d’exception, Fulbert
Mais, cette fois-ci Chartres a une chance extraordinaire : elle a pour évêque Fulbert, personnage hors du commun, l’un des maîtres de l’illustre école de Chartres, la plus célèbre de France. C’est lui qui va assurer à la fois le financement et le recrutement des ouvriers et des maîtres d’œuvre. En huit ans, avec l’aide de son architecte Bérenger, il bâtira un majestueux édifice : une nef mesurant, sans le transept, 105 mètres de long sur 33 mètres de large, dimensions exceptionnelles pour l’époque. Plus tard, au milieu du XIIe siècle, alors que saint Bernard, de passage à Chartres, prêche la deuxième croisade dans une cathédrale en chantier, on verra s’élever le portail Royal et les deux grandes tours de la façade : au sud, le clocher Vieux, haut de 106 mètres, solide comme une forteresse, surmonté de sa flèche octogonale en pierre. De cette œuvre romane, certains ont pu dire qu’elle était « peut-être le morceau d’architecture le plus parfait du monde » ; au nord, le clocher Neuf, qui culmine à 115 mètres. Sa flèche, véritable dentelle de pierre, ne sera édifiée qu’au début du XVIe siècle par Jehan de Beauce.
Des scènes de consternation
La statue de l’évêque Fulbert rend hommage à celui qui fonda à Chartres une école où on étudiait les arts libéraux. On lui doit la construction d’une basilique de style roman et la crypte actuelle de la cathédrale, cette crypte de “Fulbert” construite entre 1020 et 1024. Il était aussi, musicien, savant et hagiographe. Photo © François Collombet
Mais le destin s’acharne sur Chartres. Le 10 juin 1194, à peine achevée, la cathédrale est anéantie par l’un des pires incendies que la ville ait connus. Sa charpente en bois disparaît dans les flammes. Ne résistent que la crypte, les clochers et la façade ouest. Par bonheur, les tout premiers vitraux qu’elle supporte sous la rosace – Jessé endormi et surtout ce chef-d’œuvre de l’art primitif connu sous le nom de Notre-Dame-de-Ia-Belle-Verrière échappent à la destruction. Ce dernier sera réinséré dans un vitrail du XIIIe siècle. L’annonce de la catastrophe choque l’Europe entière. Partout se déroulent des scènes de consternation et de désolation. Mais il est une source de désespoir peut-être plus grande encore : la perte de la tunique en soie que portait la Vierge lors de la naissance du Christ, offerte à la cathédrale par Charles le Chauve en 876 et que l’évêque Gantelme* avait brandie au-dessus des remparts lors du siège de la ville par les Normands en 911, redonnant courage aux Chartrains. Alors, quand on la retrouve intacte dans la crypte, on se dit que l’incendie est d’origine divine : la Vierge désire que l’on construise une église plus belle encore. Des collectes s’organisent. Des confréries se forment et très vite les caisses de l’œuvre de Chartres sont pleines.
*La légende rapporte que l’évêque Gantelme déploya cette relique devant les armées de Rollon (911). A sa vue, les forces normandes s’enfuirent et le siège fut levé. Les nombreux miracles accomplis amenèrent une foule considérable de pèlerins
Une architecture de la légèreté
Entre 1194 et 1225, les dames, les chevaliers, les mondains s’attellent avec les bourgeois et les paysans aux charrettes de bois, de ciment et de pierre – de cette pierre de Berchères extraite à 10 kilomètres de Chartres, calcaire siliceux aussi dur que le marbre – pour les hisser sur la colline, rapporte un chroniqueur de l’époque. Un privilège et un honneur réservés à ceux qui ont confessé leurs péchés et pardonné à leurs ennemis … De partout, des villages entiers se mobilisent. II faut charrier des tonnes de blocs de calcaire, dégager les décombres, nourrir les bâtisseurs. Mais la foi qui transporte les montagnes autorise toutes les hardiesses. Quel est donc le maître d’œuvre qui le premier ose abandonner la tribune pour le triforium en contrebutant la poussée des voûtes par des arcs-boutants ? Qui a eu l’audace de monter les voûtes de la nef à près de 36 mètres, d’ouvrir dans les murs d’immenses fenêtres hautes (leur hauteur est presque la même que celle des grandes arcades) ? On ne le saura probablement jamais. Le génial architecte à qui les chanoines ont confié la direction des travaux demeure un inconnu, comme du reste celui de Bourges et bien d’autres de ce début du XIIIe siècle.
Pour le flux ininterrompu des pèlerins, un chœur profond entouré d’un déambulatoire s’ouvrant sur sept chapelles rayonnantes
Quoi qu’il en soit, en cinquante ans, la cathédrale est rebâtie. C’est celle que nous avons aujourd’hui sous les yeux. Comme il faut conserver la crypte et tout ce qui pouvait être réutilisé du splendide sanctuaire roman, l’agrandissement se fait par les bras du transept, et surtout par le haut. L’édifice doit également pouvoir accueillir le flot ininterrompu des pèlerins le plus près possible de l’autel. D’où ce chœur profond entouré d’un déambulatoire s’ouvrant sur sept chapelles rayonnantes. Quant à la nef, voûtée de pierre en berceau brisé, soutenue par des piliers alternativement ronds et octogonaux, elle est si large qu’elle ne sera jamais dépassée. Ici, on parle d’architecture de la légèreté, d’un art de logicien : un souci d’ordre et de rigueur né de l’étude d’Aristote est à l’origine de cette « vertigineuse unité » raisonnée comme une somme.
Autour du chœur, on voit sur la droite, édifié à partir de 1514, le très célèbre tour du chœur conçu comme une véritable muraille de pierre de plus de sept mètres de haut et d’une centaine de mètres de haut.
Aménagement fin du XVIIIe siècle du chœur de la cathédrale de Chartres
Le réaménagement du chœur liturgique a été entrepris de 1763 à 1789 sous la direction de l’architecte Victor Louis selon le goût de l’époque. Les piliers et les entrecolonnement gothiques ont été revêtus de stuc (stucs rouges, gris et verts sur les colonnes et écoinçons) jusqu’aux niveau du triforium et de fausses draperies venues décorer l’abside (avec chapiteaux corinthiens en gypse et bois doré). Le groupe de l’Assomption de la Vierge, en marbre de Carrare, est commandé au sculpteur Charles-Antoine Bridan. Une grille en ferronnerie dorée (aujourd’hui dans la tour sud), fermait alors le nouveau chœur des chanoines.
Le célèbre bleu chartrain
À Chartres, pour la toute première fois, des vitraux de couleur sont commandés dès le début des travaux. Ils doivent habiller les immenses fenêtres qui atteignent ici la hauteur des voûtes. Les fours des verriers sont à 50 kilomètres de là, en lisière de la grande forêt de Senonches. Mais c’est aux maîtres verriers installés au pied de la cathédrale que l’on doit le célèbre bleu chartrain, ce bleu de cobalt qui donne à la cathédrale une lumière si particulière.
170 verrières soit 2600 mètres2
Cent soixante-dix verrières en tout sont assemblées, soit 2 600 mètres carrés. Parmi les généreux donateurs souvent représentés tout en bas, on remarque Louis IX et sa mère Blanche de Castille, qui ont offert l’immense, la magnifique rose du transept nord représentant la Vierge tenant sur ses genoux un Jésus entouré d’anges, de colombes, de rois et de prophètes.
D’où provient ce bleu de Chartres ?
Ce bleu de Chartres si lumineux aurait pour origine, l’époque romane. Il sera mis au point pour la première fois en France vers 1140 sur le chantier de la basilique Saint-Denis, avant d’être utilisé par la suite à Chartres. Comment se fabrique un tel bleu ? La recette utilisée par les artisans verriers est l’emploi d’un fondant sodique dans lequel ils incorporent du cobalt et de l’antimoine (opacifiant), du cuivre et du fer. C’est ce verre qui compose Notre-Dame de la Belle Verrière et quelques rares vitraux du XIIe siècle conservés essentiellement à Chartres. Au XIIIe siècle, la composition du verre va changer : la cendre de hêtre remplace le cobalt et rend les bleus plus sombres.
De la nef, vitraux de la façade occidentale
Chapelle des apôtres et sa verrière du début du XIIIe siècle
Cette verrière fut offerte par la guilde des boulangers. Elle date du premier quart du XIIIe siècle. Elle est donc contemporaine de la cathédrale actuelle reconstruite après l’incendie de 1194.
L’incroyable vision d’une cathédrale en construction
Cette représentation de la flèche nord romane, disparue au début du XVIe siècle a bouleversé restaurateurs et historiens. Elle vient d’être mise au jour lors de la restauration de la salle capitulaire (chapelle Saint-Piat) dans l’un des quatre décors historiés composant un exceptionnel ensemble peint du XIVe siècle.
D’une étonnante fidélité
Une découverte exceptionnelle, cette représentation inédite de la cathédrale en cours de construction ! Édifiée par quatre artisans et tailleurs de pierre maniant le taillant, Notre-Dame est reproduite avec une étonnante fidélité, en particulier sa façade occidentale où le Christ bénissant règne sur la galerie des rois, la rose du XIIIe siècle et les lancettes du XIIe siècle. Dominant la tour sud et la couverture médiévale de la nef anéantie par l’incendie de 1836, on découvre en particulier dans cette image l’unique représentation connue à ce jour de la flèche nord romane, disparue au début du XVIe siècle.
En vingt ans, le gros œuvre est achevé et dès 1221 les chanoines de Chartres peuvent se réinstaller dans leurs stalles. Les tours – ces tours gothiques au profil élancé mis au point à Chartres et qui vont se répandre partout en Europe – sont reliées par le portail Royal et rattachés par un narthex à la nef.
Une immense population de statues
Mais ce qui frappe à Chartres, c’est l’immense population de statues, témoin de la nouvelle statuaire : pas moins de 4 000 figures sculptées ! Regardez les plus anciennes, ces statues-colonnes du portail Royal encore attenantes au pilier. Au tympan de ce portail trône un Christ en gloire entouré des symboles des quatre Evangélistes. En à peine un siècle, le sculpteur travaille la pierre différemment, donne naissance à des visages expressifs, des attitudes aisées de personnages vivants, des « statues acteurs » jouant la vie de Jésus ou les miracles des apôtres. Voyez les sculptures de l’Ancien Testament sur le porche du transept nord et leurs pendants du Nouveau Testament sur le porche sud, toutes sont sorties des ateliers chartrains du XIIIe siècle et sont les œuvres de sculpteurs inconnus.
Portail nord de la cathédrale de Chartres. Dans l’ébrasement droit de la Porte centrale, les personnages d’Isaïe, Jérémie, Siméon, St Jean Baptiste, St Pierre, tous en liaison avec le Christ (Isaïe et Jérémie comme prophètes de sa venue). Par rapport au portail royal l’évolution est très nette avec ces têtes ovales et allongées, les attitudes incurvées, les plis plus naturels que les fines sties du portail royal.
La cathédrale d’un seul sacre, celui d’Henri IV
Le 17 octobre 1260, Louis IX célébrait la dédicace de Chartres. Et, si elle ne fut le siège que d’un seul sacre de roi – le 27 février 1594 Henri de Navarre y devint Henri IV dans un chœur que Jehan de Beauce venait d’entourer d’une magnifique clôture composée de deux cents statues.
Dernier incendie, le samedi 4 juin 1836
Au matin du 4 juin 1836, des plombiers occupés à réparer des avaries, allument un brasero qui provoque l’incendie détruisant dans la nuit, la totalité de la charpente. Le plomb fondu est craché par les gargouilles et par les œillards, il va ruisseler dans le chœur et dans toute la nef : “heureusement, les édiles firent arroser continuellement les boiseries, en particulier les stalles, ce qui les sauva d’une combustion assurée. Aucun objet ne semble avoir souffert”. Dès 1837, la charpente en bois appelée « la forêt » et la couverture en plomb de la cathédrale furent remplacées par une charpente métallique* et une couverture en cuivre à l’origine du vert-de-gris qui lui donne cette couleur verte caractéristique.
*une charpente métallique de 600 tonnes de fonte et de fer laminé, et une toiture constituée de 11 000 plaques de cuivre.
Les tours de Chartres sauvées par un colonel de l’armée américaine
Entre le 15 et le 19 août, les allemands évacuent la ville. Des combats meurtriers ont lieu à travers les rues. Les forces américaines pensent que la cathédrale est encore aux mains de tireurs d’élite allemands (depuis les tours). Ordre est donné de bombarder l’édifice. Cependant, le colonel Welborn Barton Griffith Jr préfère aller le vérifier par lui-même. Arrivé sur place avec son chauffeur, il découvre plusieurs soldats faisant feu sans que les tirs ne soient rendus. Aussi décide-t-il de gravir la tour nord. Elle est vide. Il fait alors sonner les cloches et déploie le drapeau américain.
Le sauveur de la cathédrale tué le même jour
Le sauveur de la cathédrale sera tué le même jour à Lèves près de Chartres. Il est décoré à titre posthume de la Croix de Guerre avec palme, de la Légion d’Honneur et de l’ordre du mérite. Il sera aussi honoré par la Distinguished Service Cross décernée par le gouvernement américain. Aujourd’hui, une stèle rend hommage au colonel Griffith sur l’avenue de la Paix à Lèves, à l’endroit où il mourut sous les balles allemandes. Son corps fut protégé par des Lévois et sera enterré avec les honneurs militaires par le 20e corps. Il repose aujourd’hui au cimetière américain de Saint-James en Bretagne.
L’ange au cadran, protecteur de la cathédrale en 1944 ?
Cet ange au cadran admiré de tous
D’où vient cet ange ? Cette statue au cadran est imberbe. Elle pourrait représenter Saint-Jean, le jeune apôtre préféré de Jésus-Christ. Se trouvait-elle à l’origine de l’autre côté en vis-à-vis de Saint-Mathieu puisqu’il manque une statue sur cet emplacement. L’avant-bras droit qui était peut-être levé et le poignet gauche ont été sauvagement sciés, ce qui confirme qu’elle n’était pas prévue pour être mise en place derrière un cadran. Ce cadran solaire est admiré de tous. Mais celui qui en parle le mieux c’est Auguste Rodin admirateur inconditionnel de la cathédrale de Chartres : “c’est l’ange de Chartres » « cette fierté ! Cette noblesse !… Du haut de sa solitude, il regarde avec joie la ville dans une attitude d’annonciation… » « L’heure se marque sur lui comme une sentence sur un livre“.
Chartres, cette cathédrale miraculeusement intacte !
Chartres a l’immense privilège d’être la seule de nos cathédrales qui nous soit parvenue quasiment intacte, telle qu’a pu la voir le roi au XIIIe siècle. « Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale … », nous, pèlerins de Dieu en marche vers l’éternité.
“Chartres a fait son éloge pour éternellement. Chartres, notre Cathédrale splendide entre toutes ! N’est-ce pas l’Acropole de la France ?”. Auguste Rodin