L’abbaye de Cîteaux à l’origine de l’ordre cistercien ; un ordre qui irradia l’Europe de sa puissance spirituelle, artistique et matérielle.
Abbaye de Cîteaux, le sommaire
- Le Définitoire de Cîteaux, premier parlement européen
- Comment le château du Clos de Vougeot et les vignerons bourguignons aident à sa restauration ?
- En 1098 émerge au milieu des joncs de la plaine marécageuse de la Saône, le plus extraordinaire ordre monastique de tous les temps.
- La véritable naissance de l’ordre, la Charte de charité d’Étienne Harding en 1120
- Un ordre cistercien qui révolutionne l’architecture, la spiritualité et l’histoire du Moyen Âge ?
- Bernard de Clairvaux, le grand homme du XIIe siècle
- Au XIIIe siècle, l’abbaye de Cîteaux est le centre de la chrétienté
- Les cisterciens établissent une véritable puissance économique multinationale
- Armand le Bouthillier de Rancé celui qui bouleverse l’ordre par son radicalisme créant des moines de l’extrême
- Cîteaux et les années révolutionnaires
- Un siècle sans les moines à Cîteaux mais que d’étonnantes initiatives !
- La colonie pénitentiaire de l’abbé Rey (en voie de canonisation), à bien des égards, révolutionnaire !
- 1898, le retour des moines à Cîteaux. Les hauts et les bas d’une réinstallation
- Qui sont les cisterciens de l’abbaye de Cîteaux ?
- La vie à Cîteaux, une petite communauté de 13 moines en 2022
- Un nouvel abbé élu en 2021
- Munkeby en Norvège, premier monastère cistercien-trappiste fondé depuis le XVe siècle par l’abbaye de Cîteaux
Le Définitoire de Cîteaux, premier parlement européen
S’il fallait désigner un lieu symbolique dans l’immense patrimoine laissé par les moines cistercien, nul doute, il en existe bien un. Mais dans quel état ! C’est le Définitoire de l’abbaye de Cîteaux. Aujourd’hui, en grande partie désaffecté, ce bâtiment est en situation de péril. Et pourtant, il est le cœur même de l’Ordre. Par bonheur, depuis 2022, les vignerons bourguignons sous l’égide du château du Clos de Vougeot (ancien cellier de l’abbaye de Cîteaux) s’impliquent financièrement dans sa restauration. Normal que cette prestigieuse abbaye qui a essaimée dans toute l’Europe et dont l’ordre cistercien fit tant pour la grande qualité des vins de Bourgogne, puisse profiter de la générosité des vignerons d’aujourd’hui.
Pour l’abbaye de Cîteaux, une vente aux enchères de vins pour restaurer le Définitoire
Pari amplement gagné pour le château du Clos de Vougeot (siège des Climats du vignoble de Bourgogne, classés au patrimoine mondial de l’Unesco) et la Fondation du Patrimoine. Une vente aux enchères internationale (en ligne) de vins exceptionnels dont cette cuvée Clos de Vougeot Grand Cru 2020, a été organisée par la maison Sotheby’s ; des vins également de vingt-quatre domaines bourguignons ce qui a permis de recueillir près d’1 million d’€ pour la restauration du Définitoire.
C’est à Cîteaux dans le Définitoire que se réunissaient tous les abbés cisterciens d’Europe
Le Définitoire avait la vocation d’être un parlement (le premier parlement européen !). C’est là que se réunissaient tous les abbés cisterciens, à l’occasion des chapitres généraux de l’Ordre, une séance qui avait lieu chaque année en septembre. Bâti au XVIe siècle, le Définitoire*que l’on voit aujourd’hui fut achevé à la fin du XVIIe siècle sous l’abbatiat de Dom Jean Petit. Ce qu’on appela alors le nouveau définitoire, comportait des salles voûtées au rez-de-chaussée alors que l’étage était occupé par le dortoir des novices. Ce long bâtiment de 80 m de long et 16 m de large fut sauvé des destructions de la Révolution. Sa chance fut qu’il était en briques et donc inutilisable pour d’autres constructions (Les bâtiments de l’abbaye furent vendus comme biens nationaux à la Révolution). Le Définitoire servit alors successivement de sucrerie et de centre d’apprentissage pour une colonie pénitentiaire agricole d’enfants jusqu’en 1888. Aujourd’hui, il est encore debout mais dans quel état ! En grande partie désaffecté, le bâtiment est très délabré. Il est en situation de péril. Il faut restaurer d’urgence et en priorité murs et toiture, qui présentent d’inquiétantes faiblesses.
*Le Definitorium fut institué par le Chapitre général de 1197.
Le Définitoire une fois restauré
Le but est de redonner vie au Définitoire en y installant un centre d’études et de recherches sur les Cisterciens. Y seront conservées les archives de l’Ordre mises à disposition des historiens, chercheurs universitaires, étudiants. Cette aide financière permettra aussi à l’ARCCIS (Association pour le rayonnement de la culture cistercienne) d’y implanter le Centre Européen pour le Rayonnement de la Culture Cistercienne. Enfin, le bâtiment, accessible aux visiteurs de l’abbaye, abritera aussi des expositions permanentes et temporaires. Pour la région, la restauration du Définitoire renforcera l’attractivité territoriale du pays en enrichissant l’offre touristique locale liée à l’Ordre cistercien et son histoire viticole, avec en particulier le célèbre site du Clos de Vougeot, ancien cellier de l’abbaye.
Abbaye de Cîteaux, plus de 9 siècles d’Histoire
En 1098 émerge au milieu des joncs de la plaine marécageuse de la Saône, le plus extraordinaire ordre monastique de tous les temps.
L’abbaye de Cîteaux fêtait en 1998*, le neuvième centenaire de sa fondation. Ils étaient ce jour-là plus de sept cents moines et moniales de la famille cistercienne réunis dans l’église construite par la colonie pénitentiaire et rénovée entièrement à cette occasion. Ce sont eux qui poursuivent aujourd’hui la voie tracée par Robert de Molesmes et Bernard de Clairvaux. Qui, à l’origine, pouvait prévoir l’extraordinaire destin de cet ordre lorsque, en 1098, la petite communauté de Cîteaux ayant le titre d’abbaye depuis quelques mois peut à peine survivre ; celle dont les premiers bâtiments émergeaient au beau milieu des marécages de la plaine de la Saône et des roseaux : ces cistels, qui lui ont donné son nom (Cîteaux). A moins que ce nom vienne de cisterna (en latin, marais ou terrain marécageux).
*L’abbaye de Cîteaux fêtait également le centième anniversaire du retour des moines à Cîteaux, des moines venus de l’abbaye de Sept-Fons dans l’Allier. Elle devenait l’abbaye mère de l’ordre cistercien de la stricte observance
Le désert de Cîteaux. Là, les fondateurs avaient trouvé leur désert : lieu peu accueillant, boisé, loin de toute population, avec la présence d’eau dormante ; un lieu offrant l’isolement et le silence propices au recueillement et à la paix monastique. Tout autour des terres cultivables et des étangs (des étangs en chapelets pour une meilleure gestion de l’ eau)*, pouvant assurer la subsistance des moines. Eudes de Bourgogne, sur intervention du légat du pape, offre aux moines leurs premiers bâtiments en bois et leur fait également don d’une vigne à Meursault comme cadeau de Noël. Symbolique, ce pèlerinage de Molesmes à Cîteaux, lorsque quatre Ambrosiens portant les reliques de Robert de Molesmes traversent les vignobles du Clos de Vougeot, plantés à l’origine par leurs frères du XIIe siècle ?
*Tous les 2 ans, la pêche avait lieu à la fin de l’hiver. Avant la révolution, Cîteaux était entouré d’une vingtaine d’étangs.
Cet ordre cistercien qui révolutionne l’architecture, la spiritualité et l’histoire du Moyen Âge
Comme toutes les grandes familles monastiques d’Occident, les Cisterciens se réclament de la règle de saint Benoît. Si le XIe siècle fut celui des moines noirs de Cluny, le XIIe siècle est celui des moines blancs de Cîteaux, cette abbaye de Bourgogne dans la plaine de la Saône, lieu couvert alors de marécages et de joncs (cistels). À la fin du XIe siècle, Cluny traversait une période florissante et sa prospérité risquait de provoquer un certain relâchement. De nouvelles institutions monastiques surgissent alors, à la recherche d’une vie plus simple et plus austère. Elles subissent l’attrait de l’érémitisme. Ainsi Robert qui quitte, en 1098, son abbaye de Molesmes pour se fixer à Cîteaux et fonder un nouveau monastère. Ce novum monasterium allait révolutionner l’architecture, la spiritualité et l’histoire d’une bonne partie du Moyen Âge. L’architecture des abbayes de cet ordre cistercien, qui exprime une spiritualité dépouillée puissante, abstraite, continue de nous émouvoir plus de neuf siècles après. L’idéal fixé était d’observer à la perfection la règle de saint Benoît.
La véritable naissance de l’ordre, la Charte de charité d’Étienne Harding en 1120
Mais la véritable naissance de l’ordre date de la « Charte de charité » approuvée en 1120 par le pape Calixte Il. Étienne Harding, son auteur, préconisait la constitution d’une grande fraternité selon des modalités de vie exigeantes : retrait du monde, autarcie totale grâce au travail agricole, pauvreté, suppression des cellules au profit du dortoir. Chaque abbaye retrouvait enfin son autonomie sous l’autorité du chapitre général de l’ordre, renouant avec l’esprit de la règle bénédictine. Une fois par an, l’ensemble des abbés élus par les moines étaient réunis par le chapitre général (voir plus haut, le rôle du Définitoire). Ils assuraient le gouvernement de l’ordre, ce qui était en totale opposition avec le monde centralisé de Cluny.
La Charte de Charité, 900 ans après sa création, toujours d’actualité. La Carta Caritatis qui fêtait en 2009, son 9e centenaire* est le document fondateur de l’ordre de Cîteaux définissant l’organisation interne et la forme de gouvernement que l’Ordre cistercien s’est donné. Son auteur, Etienne Harding est le troisième abbé de Cîteaux. Ce texte constitutionnel est encore au XXIe siècle le document de référence de l’Ordre cistercien. Maillon essentiel dans la construction de l’édifice cistercien, la Charte de Charité entend préserver l’esprit de Cîteaux, alors que le « Nouveau Monastère » s’était mis à essaimer. Sa préoccupation est de garantir charité et unanimité entre l’abbaye-mère et ses abbayes-filles. L’enjeu est majeur et le rythme des fondations justifie que le texte soit en évolution durant plusieurs décennies. Cette charte est étonnante ! Elle est encore source d’inspiration dans le monde religieux, mais aussi dans le monde laïc, qu’il soit politique ou entrepreneurial. Ainsi, ce rapport entre maison mère et organisations filles ou filiales rappelle étonnamment les liens qui se créent au sein des entreprises entre le siège social et ses filiales. Alors, comment cette charte monastique datant du XIIe siècle inspirée par la charité peut faire évoluer les relations d’entreprise entre une société mère et les autres sociétés dépendant d’un même groupe ?
*Pour être plus précis, c’est la confirmation de ce texte cistercien par le pape Calixte II datant du 23 décembre 1119.
Bernard de Clairvaux, le grand homme du XIIe siècle
En 1113 La première fondation de “La Ferté” donne le coup d’envoi au développement de l’abbaye. La même année, Bernard de Fontaine, près de Dijon, accompagné de ses parents et amis, vient redonner espoir et élan au “Nouveau Monastère”. Les fondations vont alors se multiplier : celle de la Ferté sera aussitôt suivie de celles de “Pontigny” en 1114, de “Morimond” et “Clairvaux” dont Bernard sera le premier abbé, en 1115. Mais qu’aurait pu devenir Cîteaux sans l’arrivée de cette recrue exceptionnelle, Bernard de Fontaine, qui se présente au noviciat en 1112 avec trente compagnons ? Il a 21 ans. Cet ascète exigeant subjugua tous ceux qui l’ont approché. Très vite, on le jugea digne de diriger la troisième des quatre filles de Cîteaux, Clairvaux. Celui que l’on appela « Bernard de Clairvaux » fut de tous les combats du siècle, rétablissant la paix, abolissant les schismes, prêchant à Vézelay, en 1146, la deuxième croisade. Le grand homme du XIIe siècle ne fut ni Suger, ni Henri II Plantagenêt, mais bien Bernard de Clairvaux. À sa mort, l’ordre comptait trois cent cinquante filles ou petites-filles par fondation ou affiliation d’abbayes (sept cent quarante-deux monastères d’hommes à la fin du XVIIIe siècle). La plupart sont installés « à l’écart de la fréquentation humaine, loin du commerce du monde, dans les solitudes enfouies au plus profond des forêts », en des lieux favorables à une vie exclusivement vouée à la prière.
Au XIIIe siècle, l’abbaye de Cîteaux est le centre de la chrétienté
Au XIIIe siècle, Cîteaux est à la tête de plus de 700 abbayes en Europe et même en Terre sainte. Elle est alors le centre de la chrétienté et c’est dans son église abbatiale que sont enterrés les ducs de Bourgogne. Mais cette grande abbaye fut presque entièrement rasée à la Révolution. Il ne subsiste que trois bâtiments, classés monuments historiques : le cloître des copistes crée en 1260 et à l’étage, une partie de la bibliothèque du XVIe siècle (elle a été achevée en 1509), le tout, restauré en 2001 ; le définitoire achevé en 1699 et long de 80 m et (en bonne voie de restauration) et le bâtiment des moines achevé en 1772 par l’architecte Lenoir, sous l’abbatiat du dernier abbé, François Trouvé. Il abrite actuellement la communauté des moines.
Cîteaux, une véritable puissance économique multinationale
Très rapidement, Cîteaux devient une véritable puissance économique. Si ses moines défrichent une bonne partie de l’Europe, ils sont également les promoteurs de nouvelles techniques agricoles ; spécialistes de l’élevage, experts en métallurgie, ils sont les piliers du renouveau économique de l’Europe du XIIe siècle. Mais, dès le XVIIIe siècle, Cîteaux, victime de son succès, est atteint de gigantisme. On est déjà loin de l’esprit des fondateurs, cet esprit qui faisait dire à saint Bernard que « les arbres et les rochers enseigneront ce que tu ne peux apprendre d’aucun maître ». Le caractère contemplatif de l’ordre se perd peu à peu, d’autant plus qu’à cette époque, nombre d’abbés cisterciens sont amenés à jouer un rôle dans les affaires de l’Église. Aux XVe et XVIe siècles, une période sombre commence pour les Cisterciens, comme pour tous les ordres religieux. Ce sont les guerres de Religion qui amorcent le déclin, ainsi que l’instauration du système de la commende, à partir de 1516, sous François 1er qui permet au roi de nommer lui-même les abbés (abbé ou prieur commendataire). C’est ce système pervers qui suscitera la réforme de la stricte observance, sous l’impulsion de l’abbé de Rancé.
Armand le Bouthillier de Rancé bouleverse l’ordre par son radicalisme créant des moines de l’extrême
Au XVIIe siècle, l’ordre cistercien se scinde en deux
Au cours du XVIIe siècle, l’ordre des Cisterciens se scinda en deux familles spirituelles, conséquence de la guerre des Observances. Elle va s’étendre de 1618 jusqu’au début du XVIIIe siècle. C’est un conflit qui oppose la famille cistercienne sur les respects d’obligations régulières et notamment l’abstention de consommation de viande sachant que la vraie question est bien l’acceptation ou le refus de l’ascétisme. Va donc naître l’ordre de Cîteaux de la commune observance* et l’ordre des Cisterciens de la stricte observance ou Trappistes, connu pour son extrême rigueur : silence absolu, privation de sommeil et de nourriture. Elle est due à la réforme menée par l’Abbé Armand Jean le Bouthillier de Rancé.
*Aujourd’hui, l’ordre de Cîteaux dit de la commune observance se compose de la congrégation de l’Immaculée Conception de Marie avec l’abbaye Notre-Dame de Lérins au large de Cannes (l’île monastique de Saint Honorat), siège de la congrégation et l’abbaye Notre-Dame de Sénanque à Gordes.
L’ordre des trappistes : la chair n’a que faire là-dedans
Cette fameuse réforme fut le fait d’un homme exceptionnel qui bouleversa l’ordre de Cîteaux par son radicalisme : Armand le Bouthillier de Rancé. Il fut l’un de ces nombreux abbés commendataires. Comme la plupart d’entre eux, il menait une vie mondaine qui s’interrompit brusquement à 40 ans, à la mort de l’une de ses maîtresses. II abandonne alors ses richesses et se retire dans l’une de ses abbayes, à la Trappe, dans le Perche. En 1664, il fonde l’ordre des Cisterciens de la stricte observance, qui souhaite revenir au premier Cîteaux : abstinence, silence rigoureux et vie simple. Ceux que l’on appelle « les Trappistes » ont pour seules activités la prière, la liturgie et le travail manuel. II est vrai que l’abbé de Rancé a été imprégné, au cours d’une longue retraite, par les pères du désert.
L’ordre cistercien de la stricte observance. D’abord une précision, toutes les abbayes qui ont adopté la réforme de la Trappe forment l’ordre des Cisterciens de la stricte observance, ou Trappistes. Rancé, le grand réformateur de l’ordre au XVIIe siècle, ne voulait dans son abbaye, perdue dans le Perche, que les âmes : la chair n’a que faire là-dedans. L’ordre des Trappistes compte en France quatorze monastères. II faut savoir que chaque communauté jouit d’une certaine autonomie interne, sous la responsabilité du père abbé, élu par l’ensemble des frères. II nomme lui-même ses principaux collaborateurs. Les pères abbés des Trappes à travers le monde se réunissent tous les trois ans environ et forment le chapitre général, qui est l’instance législative et disciplinaire suprême de l’ordre. Celui-ci est présidé par un abbé général, élu par les autres abbés (cette réunion plénière avait lieu avant la Révolution dans le Définitoire de l’abbaye de Cîteaux).
Cîteaux et les années révolutionnaires
Quelque 70 ans avant la Révolution, Cîteaux est loin de s’être appauvri. Ainsi, le grand atlas de Cîteaux, conservé aux archives départementales de Dijon, établissait en 1718 le détail des propriétés de Cîteaux. On constate que l’abbaye possède près de 10 000 ha constitués ainsi :
- Enclos de Cîteaux : 20 ha.
- Étangs : 150 ha
- Vignes : 120 ha
- Prés : 700 ha
- Terres de labour : 4.000 ha
- Bois : 4.200 ha dont 2.000 ha autour de l’abbaye.
Si la Révolution met en vente comme Biens nationaux l’abbaye et son domaine foncier, elle mettra aussi fin à l’un des projets les plus ambitieux que Cîteaux ait connu. Son dernier abbé, dom Joseph Trouvé (très contesté !) avait installé des ateliers dans la grande infirmerie de Cîteaux pour donner du travail aux chômeurs. Il avait aussi entrepris un grand projet architectural. D’abord il fit détruire une partie des bâtiments conventuels. A leurs places, il avait planifié de reconstruire mais dans le style de l’époque, le style classique (voir aussi chez les Bénédictins et la réforme mauriste qui a tant marquée l’architecture des abbayes). Seul subsiste aujourd’hui, la grande aile conventuelle dite Lenoir.
Un siècle sans les moines à Cîteaux mais que d’étonnantes initiatives !
Les moines sont chassés et l’abbaye est démantelée. La démolition systématique des bâtiments commence. Cîteaux devient alors une immense carrière de pierre. L’orgue, qui datait du XVIe siècle est mis en pièces pour vendre l’étain. Le buffet est utilisé comme bois de chauffage. Les quelque 10 000 volumes qui se trouvaient dans la bibliothèque sont enlevés en avril et mai 1791 dans quatorze voitures chargées avec l’aide des hommes du régiment d’Artillerie de La Fère (dont faisait partie depuis 1785, un certain Napoléon Bonaparte en tant que lieutenant en second). Ils sont déposés dans la salle des Festins, aujourd’hui salle de Flore au Palais des ducs et des États de Bourgogne, à Dijon. De l’abbaye ancienne, trois bâtiments ont été sauvés : la bibliothèque achevée en 1509, en voute d’ogives. Le Définitoire en voute d’arêtes, qui comprend plusieurs salles dont une grande à colonnes centrales, et le dortoir à l’étage et enfin le dernier bâtiment, dit bâtiment Lenoir achevé en 1771.
Au fur et à mesure des nouveaux propriétaires, l’abbaye devient une sucrerie, puis un phalanstère et enfin une colonie pénitentiaire.
Un phalanstère à Cîteaux ! De 1841-1846 va se concrétiser à Cîteaux une théorie de Charles Fourier (philosophe et fondateur de l’Ecole sociétaire) par l’établissement d’un phalanstère. Ce fut d’abord une colonie fondée par la pédagogue féministe Zoé de Gamond et le richissime Arthur Young (A ne pas confondre avec l’agronome Anglais Artur Young 1741-1820 *). Le phalanstère qu’elle avait imaginé reprenait l’aspect théorique d’une commune sociétaire chère à Charles Fourier. Il fonctionna jusqu’en 1846 mais s’avéra être un désastre financier. Il avait été conçu pour accueillir 600 personnes, mais, début 1843, il n’en abritait que 167.
*l’Anglais Arthur Young est considéré comme le père des voyageurs agronomes de la fin du XVIIIe siècle. Son Voyage en France, paru en 1792, a fourni des informations précieuses sur la France rurale de l’époque.
La colonie pénitentiaire de l’abbé Rey (en voie de canonisation), à bien des égards, révolutionnaire !
Enfin, Cîteaux devint une colonie pénitentiaire pour enfants en 1846, œuvre de l’abbé Rey ce qui nécessita de nombreuses constructions pour accueillir jusqu’à un millier d’enfants et leurs éducateurs. L’abbé Rey qui avait personnellement acheté le domaine de Cîteaux* fut un précurseur de la protection des enfants, un homme qui a donné sa vie pour sauver des enfants en difficulté. De 1849 à 1873, la colonie de Cîteaux a accueilli 4 000 enfants. C’est la plus importantes qui existait alors (avec Mettray en Touraine). En 1869, la colonie compte 200 religieuses et religieux qui encadrent 628 jeunes détenus et 132 enfants confiés à l’œuvre. Parmi eux, 33 ont de 5 à 10 ans, 316 de 10 à 15 ans et 279 de 15 à 20 ans. Les plus jeunes regroupés dans un local séparé sous la responsabilité des sœurs, sont souvent des enfants abandonnés comme ce petit détenu qui n’a que 5 ans. Il a été condamné pour avoir incendié à deux reprises des meules de paille et avoir affirmé son intention de brûler son village
*La colonie de Cîteaux était installée sur un domaine de 360 ha, dont 232 de terres labourables, 90 de prairies, 14 de jardins, 9 de vignes et 15 de bois.
Discipline militaire et autorité paternelle
Pour l’abbé Rey : la colonie porte le double caractère de la famille et du régiment. La discipline militaire et l’autorité paternelle se fondent dans une seule direction, à la fois douce et ferme, qui tend à faire de l’enfant soumis et docile un homme doué d’initiative et spontanéité (!). Quant au travail, il doit permettre d’apprendre le sens de l’effort. L’activité physique à Cîteaux est importante. Sur une journée qui commence à 5 h, il n’y a que deux ou trois heures d’études (instructions religieuse et élémentaire, formation professionnelle et instruction militaire) pour neuf heures de travail et deux à trois heures d’exercices physiques, souvent à caractère militaire. D’ailleurs, il existe à la colonie de Cîteaux, une école militaire. Ce sont les Frères qui se sont faits instructeurs, sous la direction d’un sergent. Dans chaque division il y a deux compagnies de 90 à 100 soldats chacune, plus un peloton constitué par les arrivants et « ceux qui ont le moins de dispositions ». Des colons sont officiers et sous-officiers et ils portent les insignes de leur grade. Ces grades sont obtenus par concours, trois fois par an, sur des épreuves de grammaire, arithmétique, histoire, géographie, dessin et théorie militaire. Quant à la formation professionnelle, elle est variée mais la majorité des colons est employée à des travaux divers, en attendant d’être en âge de choisir un métier. Pendant l’été, il s’agit de travaux de fenaison, de moisson, de cueillette du houblon, de vendange, et pendant l’hiver, on fabrique des brosses, des chapelets, de la tresse pour chapeaux de paille, des chaussons, etc. Les plus nombreux se consacrent au travail de la terre, agriculture et élevage, à la viticulture et au jardinage. On forme aussi à des métiers d’ajusteurs-mécaniciens, de tailleurs, de cordonniers, de relieurs, de tuiliers, de maçons, de charrons, de menuisiers, de boulangers, de plâtriers, de ferblantiers, de tailleurs de pierre et de sculpteurs sur bois.
Chacun reçoit un livret de caisse d’épargne ou d’un petit pécule
A l’issue de leur séjour à la colonie, les élèves les plus méritants reçoivent des livrets de caisse d’épargne, et tous sont dotés d’un petit pécule représentant leur part des bénéfices de la colonie. Elle assure aussi le placement des jeunes sans famille, ainsi que des agriculteurs et jardiniers. Le père Rey meurt en 1874. La colonie va péricliter et disparaître en 1898.
1898, le retour des moines à Cîteaux
Jusqu’en 1791, l’Abbé de Cîteaux était Abbé général de l’Ordre de Cîteaux. Lorsque Cîteaux fut mise à disposition des cisterciens le 22 août 1898, une communauté fut créée en demandant aux différentes maisons de l’Ordre d’envoyer des religieux. Dom Sébastien Wyart, Abbé de Sept-Fons reçut le titre d’Abbé de Cîteaux en tant qu’Abbé Général. Il le restera jusqu’à sa mort en 1904 (Cîteaux rentrait ainsi dans l’Ordre des Cisterciens de la stricte observance, ou Trappistes). Stalles et jubé sont rapidement mis en place dans l’église qu’avait fait construire l’abbé Rey. Mais les bâtiments sont inadaptés, les moines vivent alors dans une extrême pauvreté. En 1913, l’abbaye compte environ vingt-cinq moines et convers. Elle fait face à des sérieuses difficultés financières. Pour survivre, la communauté est contrainte de mettre en vente 258 ha du domaine sur les 375 ha dont elle dispose depuis sa réinstallation. Pendant la grande guerre, le monastère est transformé en hôpital avec une capacité de 1000 lits. Si la pauvreté règne encore, un effort est fait pour améliorer le confort des moines. L’abbaye va compter 88 moines, convers et novices à la veille de la guerre 1939-1940.
La communauté de Cîteaux peut enfin élire son abbé
De 1899 à 1963, six abbés généraux et quatre abbés auxiliaires, supérieurs de Cîteaux vont se succéder. En 1963, faisant suite à une demande du Chapitre Général de 1962, le pape concède un indult (une dérogation du droit canonique) modifiant le statut de Cîteaux. Ce document donne le droit à la communauté de Cîteaux d’élire son abbé, comme dans tous les autres monastères.
L’église rénovée en 1970 se révèle être inadaptée à la fois à la prière monastique et pour son ouverture au public. La construction de la nouvelle église monastique est l’œuvre de Dom Olivier Quenardel. Elle sera inaugurée le 21 mars 1998, jour du 900e anniversaire de la fondation de l’abbaye, réunissant pour cet événement plus de 700 moines et moniales de la famille cistercienne.
Qui sont les cisterciens de l’abbaye de Cîteaux ?
L’abbaye de Cîteaux, redevenue la maison mère de la famille cistercienne, est une communauté de l’Ordre cistercien de la stricte observance, marquée par la réforme de la Trappe. Si au XIXe siècle et au début du XXe siècle le mouvement de la Trappe se caractérisait par un retrait du monde, le travail manuel et la prière au sein d’une vie communautaire marquée par le silence (on utilisait le langage des signes pour communiquer), aujourd’hui cette discipline s’est assouplie. La règle que les fondateurs de Cîteaux ont adoptée est celle de saint Benoît, avec la prière commune, l’office qui réunit les frères sept fois par jour ; le travail manuel, l’accueil et les services communautaires auxquels s’ajoutent l’enseignement, la lecture, la méditation et la prière personnelle.
Des moines reconnaissables à leur habit blanc et leur scapulaire noir
L’abbaye de Cîteaux est une maison de l’Ordre des Cisterciens de la Stricte Observance (OCSO), communément trappiste. Il compte 96 monastères d’hommes pour 2500 moines et 66 de femmes pour 1800 moniales, répartis sur tous les continents. Les Trappistes se reconnaissent par leur robe blanche recouverte d’un scapulaire noir. Pour la liturgie, ils revêtent une coule blanche avec capuche.
Cîteaux, aujourd’hui, une petite communauté de 13 moines
La communauté de Cîteaux comptait trente-quatre membres en 1998. Ils ne sont plus que 13. Ils ont élu le 15 septembre 2021, leur nouvel abbé sous la présidence de Dom Eamon Fitztgerald, Abbé Général de l’Ordre des Cisterciens de la Stricte Observance. Dom Pierre-André Burton (58 ans) est depuis le nouveau Père Abbé de Cîteaux.
*Dom Pierre-André Burton est Belge. Il est diplômé de l’Université catholique de Louvain (Lettres romanes, Philosophie, Institut d’Études médiévales). Il est entré à l’abbaye de Scourmont (Belgique), puis a été au service de l’abbaye du Désert, à côté de Toulouse, comme cellérier et maitre des novices. Il a ensuite été élu abbé de cette abbaye jusqu’à sa fermeture il y a quelques mois.
La vie des moines à Cîteaux
Dès 4 h du matin, les moines sont à l’église pour la prière de la nuit, revêtus de la coule blanche avec capuce. La fraternité est vécue au quotidien selon le fameux « théorème » de saint Bernard : « La connaissance de soi ouvre à celle de l’autre et la connaissance de l’autre à elle de Dieu. » Pour cette communauté, le choix le plus radical est celui du retrait du monde, mais le monde n’en traverse pas moins les murs de l’abbaye d’une manière à la fois plus filtrée et plus intense. La preuve, selon la tradition (depuis 1995), un frère de l’abbaye de Cîteaux est élu conseiller municipal à Saint-Nicolas-lès-Cîteaux. Lors des dernières élections en 2021, Frère Bertrand, prieur de l’abbaye, fut de nouveau élu pour représenter la communauté des moines cisterciens.
Horaire des offices
- Prière de la nuit : 4 H 00
- Laudes – Messe : 7 H 00 (Dimanche : Messe à 10 H 30)
- Prière (Tierce) : 9 H 30
- Prière de midi (Sexte) : 12 H 30
- Prière (None) : 14 H 30
- Vêpres : 18 H 00 (Dimanche à 17 H 15)
- Prière du soir (Complies) : 20 H 00
De quoi vit on à Cîteaux ?
Grâce à la fabrication du fromage le Cîteaux*, de l’hôtellerie, des visites et une boutique de produits monastiques, les moines bénéficient de revenus pour faire face aux charges courantes. Mais le gigantesque bâtiment du Définitoire en grande partie désaffecté, est en très mauvais état, et nécessiterait 15 millions d’euros de travaux. Une première étape a été franchie grâce au succès de cette vente aux enchères et à la générosité des vignerons bourguignons
*Les fromages représentent pour l’abbaye, 60 % de ses revenus selon Frère Raphaël. Elle produit un célèbre fromage, de genre reblochon (un fromage à pâte pressée), provenant du lait de leur propre troupeau. La fromagerie est une véritable entreprise qui élabore près de 100 000 fromages par an. La pandémie a obligé les moines à commercialiser leurs produits en ligne. Total succès se réjouit Côme Besse, cofondateur du site « DivineBox » qui vend aujourd’hui les fromages des moines.
Munkeby en Norvège, premier monastère cistercien-trappiste fondé depuis le XVe siècle par l’abbaye de Cîteaux
Le 14 septembre 2009, la vie monastique commençait à Munkeby Mariakloster au centre de la Norvège, à 100 km au nord-est de Trondheim, sur la 66e parallèle, juste en-dessous du cercle Arctique. L’abbaye de Cîteaux y avait envoyé 4 moines. Après une longue période de maturation, 2021-2022 voient sortir de terre les nouveaux bâtiments du monastère complétant ceux qui ont été achevés en 2017 (fromagerie et aile nord). Les différentes ailes sont disposées autour d’un cloître selon le plan traditionnel. Avec les trois cellules déjà existantes, le monastère pourra donc d’accueillir 9 moines. Si nécessaire, des extensions sont possibles pour une communauté de 14 moines au maximum.