Damien Hirst et ses Cerisiers en Fleurs exposés à Paris
Cerisiers en Fleurs de Damien Hirst ! Quel autre endroit à Paris que la Fondation Cartier pour les contenir ? 30 toiles à hauteur d’arbre dans une explosion florale sur fond d’un bleu qui se nuance à chaque composition. Pas un nuage dans le ciel. Rien que des branches où s’accroche dans un incroyable foisonnement, un désordre de pétales multicolores. Et cette impression de fleurs si fragiles qu’un léger vent pourrait faire s’envoler dans la lumière, la transparence et l’immense espace de la fondation Cartier devenu verger éphémère.
En 2018, Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier découvrait à Londres dans l’atelier de Damien Hirst, la série de peintures des Cerisiers en Fleurs, « J’ai été ébloui par l’excès de beauté qui m’entourait et j’ai pensé que l’architecture de la Fondation Cartier, entourée d’un jardin, serait l’endroit idéal pour dévoiler la série ».
Le hanami façon Damien Hirst
Qui pouvait penser que Damien Hirst, artiste choc, considéré comme la rock star de l’art contemporain, connu pour son goût de l’argent, du scandale et de l’art mystique (sur des thèmes essentiellement mortifères) nous pousserait au hanami* ; ce rituel Japonais transposé à Paris pour venir admirer à la fondation Cartier, la floraison de ses cerisiers ? Le contraste est total pour ce peintre dont la réputation va des animaux coupés en tranches plongés dans des bocaux de formol aux Spot Paintings produits à la chaine et alignés sur d’immenses toiles.
*Le hanami, littéralement regarder les fleurs est ce rituel Japonais qui consiste au printemps à aller admirer la floraison des cerisiers.
Sur les immenses baies vitrées de la façade le reflet des cerisiers en fleurs
Boulevard Raspail à Paris, en remontant vers Denfert-Rochereau, qui n’est pas intrigué par cet étrange bosquet légèrement en retrait de la rue ? Il abrite un édifice conçu par Jean Nouvel, à l’allure d’un fantomatique navire entièrement transparent qui serait venu s’ancrer à Montparnasse : de grandes galeries de verre donnant sur le jardin alentour ; le reflet des arbres, des plantes sauvages et du ciel sur les multiples baies vitrées de la façade où se reflètent les cerisiers en fleurs de Damien Hirst. Cette impression que l’espace entre intérieur et extérieur s’est effacé comme un bâtiment évanescent. La plus belle invitation à y pénétrer !
Entre figuratif et abstrait
La Fondation Cartier accueille la toute première exposition institutionnelle en France de Damien Hirst avec ces Cerisiers en Fleurs.* Il en présente 30 sur les 107 toiles réalisées sur ce thème (en 2020, pendant la pandémie). Etonnant travail, presque à contre-nature de Damien Hirst ! Il joue le décoratif, entre figuratif et abstrait au point de déclarer : C’était jouissif de travailler sur ces toiles, de me perdre entièrement dans la couleur et la matière à l’atelier. Les Cerisiers en Fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnées et fragiles, et grâce à elles je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural.
* Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier considère Damien Hirst comme un artiste aussi célèbre qu’inconnu. Célèbre parce que tout le monde parle de lui et inconnu parce qu’en France ses œuvres n’ont presque jamais été vues.
Ce young british artist des années 1990
Ce young british artist* (plus si jeune, il a 56 ans !), né à Bristol, lauréat en 1995 du Turner Prize est devenu l’un des artistes contemporains les plus chers du monde. Comment qualifier son art : art conceptuel, Néo-Pop Art ? Il a été influencé par Andy Warhol, Francis Bacon, Lucian Freud, Jeff Koons, Marcel Duchamp. Il est l’ami de Takashi Murakami, Tracey Emin, Jeff Koons. Ce trublion génial qui révolutionna la conception même de l’art ces 20 dernières années est un solide homme d’affaire. Il fut le tout premier peintre à mettre dès 2008 et sans passer par le soutien d’une galerie, 227 de ses œuvres aux enchères chez Sotheby’s. Il scandalise tout autant qu’il est admiré. C’est sa force médiatique qu’il sait si bien entretenir.
*Young british artist (YBA). La dénomination Young British Artists date des années 90. Elle est née d’une série d’expositions portant ce nom, organisées à la galerie Saatchi à Londres, à partir de 1992. Elles furent à l’origine de la célébrité de nombre de ces artistes outre Damien Hirst. Enfin, en 1997, une grande exposition à la Royal Academy of Arts, intitulée Sensation, consacrait le mouvement, ce qui le rendit un peu plus accessible au public.
Le Veau d’Or de Damien Hirst
Pour lui, l’art doit être plus réel que ne l’est une peinture. Son travail va donc se concentrer sur les animaux. Il va les figer dans l’éternité en bloquant leur décomposition dans le formol. Le scandale (!) sera atteint lors qu’il sort en 2008, son chef-d’œuvre de 10 tonnes :The Golden Calf (le Veau d’Or). Il le présente comme un questionnement biblique sur nos idoles d’aujourd’hui. Comment ne pas avoir un léger frisson d’écœurement ! Le veau est âgé de 18 mois. Il a été placé dans un aquarium rempli de formol. Ses sabots, ses cornes et le disque de la déesse entre les cornes ont été coulées en or 18 carats. Lorsqu’il est mis en vente, il vaut de l’or. Il fut acquis alors pour la somme de 10 millions de £. D’autres oeuvres chez Damien Hirst jouent pleinement la provocation comme par exemple The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living (1991), requin plongé dans du formol, et For the Love of God (2007), moulage en platine d’un crâne serti de 8 601 diamants.
Damien Hirst, l’homme qui pèse sur l’art mondial de tous ses pois
Depuis 1986, Damien Hirst a réalisé plus de 1 000 peintures à pois (Spot Paintings puis Colour Space Paintings*). Cet alignement de pois, semblent fabriqués à la machine. Ils sont pourtant tous faits à la main. Hirst déclare d’ailleurs qu’au départ, il voulait que les Spots Paintings aient l’air de peinture faites par un humain qui aurait essayé d’imiter une machine. En revanche, les Colour Space Paintings sont un retour à l’humain. Leurs coulures et leurs irrégularités renvoient à l’imperfection du geste : je tenais vraiment à ce qu’aucune couleur ne se répète. Pour moi, c’est comme des cellules que l’on regarderait au microscope.
*Auparavant, dès 1992, il avait inauguré la série Spin Paintings. La technique consistant à utiliser la force centrifuge pour répartir la peinture sur des toiles circulaires. Ces peintures se caractérisent par leurs couleurs vives et par leurs titres très longs tous commençant par Beautiful et se terminant par Painting. Il dira : (elles sont) enfantines… dans le bon sens du terme.
Une exposition sidérante et monumentale des trésors d’une épave chez François Pinault à Venise
En 2017, Damien Hirst présentait sa grande exposition au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana à Venise (appartenant à François Pinault) : Treasures from the Wreck of Unbelievable. 10 années de travail faisant suite à la découverte d’une mystérieuse épave du I-II siècle apr. J.-C. dans l’océan indien. Elle appartenait à un fortuné esclave de l’Empire romain. Elle regorgeait de sculptures incrustées d’algues, de coraux et de coquillages : des sphinx d’Egypte, des statues grecques, des colosses de bronze*…Tout est présenté telles qu’elles ont prétendument été retrouvées. François Pinault et Damien Hirst se connaissent depuis longtemps puisque qu’en 2006, à l’exposition inaugurale du Palazzo Grassi, la plus importante salle était consacrée aux oeuvres du peintre. Le titre même de l’exposition Where are we going ? faisait référence à une oeuvre de Damien Hirst de la collection Pinault.
*La réalité veut que ce qui a été exposé dans Treasures from the Wreck of Unbelievable furent ces soi-disant trésors engloutis et encore recouverts d’incrustations marines avec colliers, bracelets, épingles, bagues, pinces à cheveux et autres bijoux en or, lapis-lazuli, corail, cristal et marbre rose. Hirst s’en est servi pour décorer des sculptures géantes chinoises, grecques, aztèques, romaines et égyptiennes, des amphores, des bustes et des crânes d’animaux. Pour Damien Hirst, pourquoi être dans la réalité ? Il exploite le doute et l’ironie pour provoquer le public : une réinvention spatio-temporelle pour soulever des questions sur ce qui est réel par opposition à ce qui est faux. Et pour un artiste, qu’est-ce que l’authenticité face à la reproduction ou à la fiction ?
Derrière les pois, les pétales et les oeuvres pharaoniques, une « factory » et ses employés
L’ombre des Cerisiers en Fleurs et peut-être la fin des industriels de l’art. Derrière tant de créativité, il faut du monde. Non des élèves à former comme avait pu les réunir Léonard de Vinci à Florence puis à Milan mais essentiellement des petites mains, des tacherons, des assistants en pratiquant une gestion ultralibérale de ce petit personnel. Donc, pour ce multimillionnaire de l’art (une fortune estimée à 370 millions d’€ d’après une estimation du Sunday Times), qui retrouve le plaisir de travailler (presque en solo, pandémie oblige) dans son atelier, à peindre ses Cerisiers en Fleurs, pourquoi entretenir une floppée de 175 employés. Il en licencie 63 et cela malgré les aides de l’Etat et un prêt obtenu de 17,6 millions d’€ garanti sur 3 ans. D’après The Art Newspaper, il aurait suspendu la production de nouvelles oeuvres en ne privilégiant que les plus cotées (les fameuses Medecine Cabinets). Donc, à l’instar de ses amis l’Américain Jeff Koons et du Japonais Takashi Murakami, malgré 20 années d’une insolente prospérité qui les ont poussée à produire de plus en plus et d’une manière quasi industrielle, il a fallu réduire la voilure avec plans de licenciement et avocats chevronnés. (Sources : Journal Le Monde, Roxana Azimi : Damien Hirst expose son personnel au chômage, août 2021).
Pour aller plus loin, le catalogue de l’exposition